GOÛT, esthétique
Quelques étapes de l'histoire du goût
On ignore presque tout des artistes de l'Antiquité et des goûts personnels des grandes figures de l'histoire ancienne. Mais l'art de ces civilisations disparues, les vestiges archéologiques, plus que les textes, nous renseignent sur l'histoire, la vie, les coutumes des Égyptiens, des Grecs ou des Romains. Ces vestiges ont permis d'analyser les différentes écoles, les différents styles qui se sont succédé ou ont été juxtaposés, notamment dans le bassin méditerranéen. À partir des monuments et des œuvres préservés, si leur nombre est assez grand, il est possible de remonter aux sources et de pressentir quel fut le goût de ceux pour qui ils furent créés.
L'Antiquité : les données de l'archéologie
Cette démarche doit tenir compte évidemment des caractères, parfois exceptionnels, de la destination particulière de tel ou tel édifice, de telle ou telle sculpture. La vie des pharaons que révèlent les peintures et les reliefs de leurs tombes n'était pas celle de tous les Égyptiens. Les objets précieux, d'or, de bronze ou d'ivoire qui entouraient leurs momies n'étaient pas accessibles à tous. Mais ils indiquent ce que l'époque produisait de plus raffiné. Et la fresque des Oiseaux ou celle qui représente Toutankhamon partant pour la chasse évoquent, au-delà des occupations favorites des princes, leur prédilection pour un art décoratif d'une poésie subtile.
En Crète, c'est plus directement la vie même et par conséquent le goût de l'époque minoenne que reflètent les palais de Cnossos, de Malia, de Phaïstos : vie brillante, luxueuse, mais aussi amour de l'œuvre d'art, attrait des matières précieuses, sens du travail élaboré, recherche du plaisir de l'œil dans des décors d'une fraîcheur d'inspiration étonnante où transparaît, au-delà de l'épanouissement harmonieux des couleurs et des lignes, l'émerveillement devant le spectacle qu'offre la nature, un vol d'oiseau, un champ de lis, ou les souples évolutions des dauphins sur la mer.
Puis, dès l'époque mycénienne, la littérature vient appuyer les déductions que permet l'archéologie ; Homère décrit le palais de Nestor et ses richesses, « la coupe splendide [...] ornée de clous d'or » dans laquelle Hécamède lui offre à boire : « Elle a quatre anses et deux colombes d'or becquetant à côté de chacune », comme certaines coupes mycéniennes mises au jour par les fouilles.
En ce qui concerne l'histoire du goût, la Grèce classique, paradoxalement, échappe en partie à l'analyse, parce que la peinture, élément le plus révélateur sans doute en ce domaine, a entièrement disparu. Il faut recourir principalement aux textes pour comprendre l'importance qu'y attachaient les contemporains de Zeuxis, comme plus tard ceux d'Apelle. Il faut étudier le décor des vases pour découvrir les thèmes les plus appréciés des amateurs selon les époques et les régions, pour saisir un reflet de l'évolution qui entraîne, à la fin du ve siècle, l'apparition des sujets « de genre », des scènes de gynécée et des compositions exaltant la grâce féminine. Les figurines de terre cuite révèlent la même transformation, qu'il s'agisse d'ex-voto, d'objets funéraires ou de pièces appartenant au décor familier et placés comme tels dans la tombe de leurs propriétaires.
Au ive siècle seulement, leur qualité esthétique devient pour les amateurs un élément prédominant. Ces œuvres connaissent alors une diffusion remarquable. D'Athènes et, plus tard, de Tanagra, en Béotie, les ateliers de céramistes exportent aussi bien les figurines que les moules, ainsi que des réductions exécutées d'après les œuvres les plus célèbres de la statuaire, vers la Macédoine, la Thrace, l'Anatolie,[...]
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Écrit par
- Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE : critique d'art
Classification
Média
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