GOUVERNANCE, politique
Un label de modernité paradoxalement propice à une recomposition de l'État ?
Dans toutes ces réflexions, l'État n'est plus comme autrefois au centre des négociations et des interventions au titre de sa légitime souveraineté, ni dans l'ordre interne ni dans l'ordre international. Les incertitudes, la crise de l'État social et interventionniste amènent les acteurs à parler de « gouvernance politique » pour réaliser les changements, comme Jan Kooiman en pose les principes dans son livre Modern Governance, paru en 1993. Les États n'apparaissent plus seuls capables de bien maîtriser une complexité qui requiert la mise en œuvre d'une politique publique rationnelle et, plus encore, de coopération internationale. La notion de réseaux, qui fait également florès, en témoigne : les « communautés de politiques publiques » consacrent l'importance du débat public, débat auquel participent les différentes composantes de la société. L'idée de gouvernance nourrit une dénonciation du modèle traditionnel de gouvernement confiant aux seules autorités politiques la responsabilité de la gestion des affaires publiques, au profit d'une approche pluraliste et interactive du pouvoir. Ce « fédéralisme coopératif » (Kooiman) influence l'évolution de la coproduction de l'action publique, les partenariats entre public et privé et les relations décentralisées, qui débouchent sur un pilotage « multiniveaux » des politiques publiques.
La gouvernance multiniveaux se nourrit de plusieurs facteurs : le discours démocratique consistant à rapprocher le pouvoir du citoyen, processus que favorise la décentralisation ; la volonté d'associer étroitement les acteurs territoriaux à la définition et à la mise en œuvre des politiques publiques pertinentes ; les effets de l'intégration européenne. Le Livre blanc sur la « gouvernance européenne » (2001) s'inscrivait bien dans cette perspective en valorisant les acteurs infranationaux. L'idée est d'intensifier l'information à tous les stades de la décision, d'entretenir un dialogue plus systématique avec la société civile et de renforcer l'interaction avec les collectivités territoriales. La Commission invitait particulièrement le Comité des régions à jouer un rôle plus « proactif ».
Cela étant, la gouvernance n'annonce peut-être pas l'émergence d'un pouvoir politique neuf : si la capacité d'agir et la légitimité des acteurs territoriaux vont croissant, les États conservent à plus d'un titre une capacité régulatrice, avec des modalités très différentes, selon les histoires nationales. Si la subsidiarité et le repositionnement de l'« État-stratège » ont modifié le positionnement de l'État, ce dernier reste un acteur régulateur que les différents acteurs sollicitent d'intervenir, et dans L'État post-moderne (2003), Jacques Chevallier montre qu'il peut rester décisif par le droit, ses arbitrages et son pouvoir d'influence dans les procédures contractuelles caractéristiques de la gouvernance. Ce sont donc peut-être surtout les configurations étatiques qui sont appelées à changer pour s'adapter aux contraintes de l'interdépendance et aux besoins d'une proximité territoriale et fonctionnelle.
La notion de gouvernance alimente donc un processus de réformes concrètes et offre une grille d'interprétation nouvelle du politique et des relations entre les institutions et le politique non institué.
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Écrit par
- David ALCAUD : docteur en science politique, chargé de recherche au Centre interdisciplinaire pour la recherches comparative en sciences sociales, maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris
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