GOUVERNEMENTALITÉ
Dans l’étude du pouvoir et de ses mécanismes, la gouvernementalité met l’accent sur le fait de gouverner la conduite des personnes par le biais de moyens positifs plutôt que par le pouvoir souverain de formuler la loi. Contrairement à une forme de pouvoir disciplinaire, la gouvernementalité est généralement associée à la participation volontaire de celui qui est gouverné. Elle apparaît avec la naissance de l’État moderne et avec le développement de l’administration.
Le concept de gouvernementalité conçoit le « gouvernement » comme l’ exercice d’un pouvoir politique organisé par une nation ou un État. Il étend cette définition pour y inclure le consentement actif des individus qui participent à leur propre gouvernance. Il suggère que le gouvernement par l’État ne constitue qu’une forme de gouvernement, que les termes « État » et « gouvernement » ne sont pas synonymes, et que l’État ne peut parvenir à ses fins lorsqu’il entreprend des actions seul.
Dans le cours prononcé au Collège de France en 1978-1979 (Sécurité, territoire, population), Michel Foucault forgea le néologisme « gouvernementalité » en 1978, à partir des termes « gouvernement » et « rationalité ». Dans ce sens, « gouvernement » réfère à une conduite ou à une activité destinée à modeler, guider ou influencer la conduite des personnes. Le sens du mot « conduite » dépasse quant à lui l’idée d’une direction imposée : il renvoie aussi à la manière dont un individu se conduit lorsqu’il est guidé par un sentiment d’autorégulation. La rationalité, en tant que forme de pensée qui s’efforce d’être systématique et claire sur la manière dont les choses se passent ou devraient se passer, suggère enfin qu’avant de pouvoir contrôler ou diriger une personne ou une chose, il faut pouvoir la définir. L’État, par conséquent, va concevoir des systèmes permettant de définir les populations, c’est-à-dire de les rendre connues et mesurables. Parmi ces systèmes figurent les mécanismes de gestion et d’administration (méthodes de travail, procédures, règles) ainsi que les modes de classification des individus ou des groupes (par revenu, origine ethnique, catégorie professionnelle, situation personnelle), qui permettent de les identifier, de les classer et de les contrôler.
Les relations de pouvoir
La gouvernementalité considère que le pouvoir est productif. Dans cette perspective, les objectifs des relations de pouvoir revêtent trois formes fondamentales pour l’autorité moderne : le pouvoir souverain, qui consiste à exercer une autorité sur des sujets dans le cadre d’un territoire ou d’un État (par le biais des impôts, des lois) ; le pouvoir disciplinaire, qui vise à réguler le classement des personnes au sein d’un territoire (dans le cadre des établissements scolaires, de l’armée, du travail) ; et le gouvernement, qui voit dans les capacités et les relations entre les personnes autant de ressources à encourager et à optimiser. Dans cette optique, le bon gouvernement consiste à aller au-delà de l’exercice du pouvoir souverain pour favoriser la prospérité, la santé, la longévité, la productivité et le bonheur de la population. Il est admis que le pouvoir politique s’exerce de nombreuses manières différentes par le biais d’institutions, de groupes sociaux et de techniques qui n’ont parfois qu’un lien éloigné avec la bureaucratie formelle de l’État. La gouvernementalité s’intéresse par conséquent à l’analyse des mécanismes de gouvernement ainsi que des procédures ou pratiques spécifiques et diverses que l’on trouve à l’intérieur et en dehors des institutions étatiques, et qui touchent des domaines généralement conçus comme séparés, par exemple l’État, la société et la famille. Le gouvernement est ici perçu non pas comme un acteur unique, mais plutôt comme une combinaison d’éléments,[...]
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Écrit par
- Richard HUFF : maître de conférences en politiques publiques à la Virginia Commonwealth University
Classification
Média
Autres références
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