GRÂCE À DIEU (F. Ozon)
La parole aux victimes
Du sujet de la pédophilie dans l’institution religieuse, Pedro Almodóvar fit un mélodrame lyrique d’inspiration autobiographique, La Mauvaise Éducation(2003), tandis que Tom McCarthy en tirait un thriller, Spotlight (2016), fondé sur enquête. François Ozon, avec rigueur et sobriété, constitue un dossier. Restituant des faits objectifs, mais épousant le point de vue des victimes, il opte pour une narration chronologique qui s’attache à l’itinéraire de trois d’entre elles – Alexandre Dussot-Hezez qui, sans grand succès, avait alerté l’épiscopat ; François Devaux, l’initiateur de La Parole libérée ; Pierre-Emmanuel Germain-Thill, que l’existence de l’association a incité à s’exprimer. Le film est ainsi découpé en trois chapitres, à la manière de trois dossiers qui se rejoignent, auxquels le réalisateur imprime un rythme et un mode narratif différents. Nourris de la personnalité de leurs modèles longuement rencontrés par le réalisateur, entrent donc en scène successivement, Alexandre (Melvil Poupaud), François (Denis Ménochet), puis Emmanuel (Swann Arlaud).
Alexandre, bourgeois lyonnais, catholique pratiquant et père de famille nombreuse, convaincu de la nécessité de dénoncer ce qu’il a subi trente ans auparavant, entre en relation avec le diocèse de Lyon. S’ensuivent des lettres, des échanges de mails, des rencontres avec le cardinal Barbarin et Régine Maire. Une mise en scène toute classique, presque invisible, relate son parcours, soutenue par une polyphonie de voix off, extraits authentiques de la correspondance entretenue. Avec François, athée convaincu et homme fougueux qui part en guerre contre l’institution, la réalisation se fait plus nerveuse, le style plus haché, on rejoint le registre du film d’action. Pour Emmanuel, le plus socialement démuni des trois, et dont la blessure reste à vif, c’est la tonalité du mélodrame qui l’emporte.
Privilégiant l’intime, donnant à sentir toute la douleur des victimes, leurs conflits intérieurs, la violence et le soulagement qui accompagne leur prise de parole, le scénario, c’est l’une de ses finesses, accorde une place non négligeable à leur entourage. Compagnes, parents, enfants ou frères, tous sont impliqués par la force des choses dans ce qui est, pour certains, une révélation, soutenant ou pas leur proche dans un combat qui est aussi une épreuve. Il faut dire que, pour donner chair à chacun, François Ozon s’appuie sur une distribution sans faille, la puissance des trois acteurs principaux étant soutenue par les présences impeccables de Josiane Balasko – rarement employée dans un registre dramatique –, François Chattot, Hélène Vincent, Aurélia Petit et Éric Caravaca. Face à eux, impérial en cardinal Barbarin, François Marthouret et, tout de rondeur bonhomme, Bernard Verley, père Preynat à la candeur glaçante.
Film « citoyen », ainsi que l’a qualifié son auteur, Grâce à Dieu n’a rien d’un brûlot anticatholique. Mais, soulignant la puissance d’une institution, il n’en met pas moins en cause sa hiérarchie et son fonctionnement. Il questionne de lourds silences et de graves négligences concernant des faits intolérables, ce qu’induit le premier plan où l’on donne à voir l’archevêque de Lyon bénir la ville du haut de la colline de Fourvière. En majesté.
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Écrit par
- Colette MILON : journaliste
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Médias