KELLY GRACE (1928-1982)
Selon une conception quelque peu manichéenne de la femme à l'écran dans les années 1950, certains producteurs et réalisateurs hollywoodiens faisaient hésiter le héros masculin entre deux sortes de femmes : l'angélique, lisse de toute passion, revue et corrigée par l'éthique puritaine du « Code Hays », et la femme tentatrice, au passé toujours chargé. C'est ainsi que la jeune Grace Kelly – découverte dans Quatorze Heures de Henry Hathaway, en 1950 – incarne une jeune mariée sans ambiguïté dans Le train sifflera trois fois (de Fred Zinnemann), remise paradoxalement sur le droit chemin par la « pécheresse » Kathy Jurado, type de femme auquel semblait aller pourtant la sympathie du réalisateur. Grace Kelly se tire fort bien de cet exercice somme toute ingrat et se retrouve dans la même position inconfortable dans le film de John Ford, Mogambo (1953) – remake de La Belle de Saigon tourné dans les années 1930 –, où elle représente la dignité face à une Ava Gardner resplendissante qui assume sans fausse honte son personnage de « viveuse ». Heureusement, Alfred Hitchcock, en trois films, va, en une suite de subtiles déformations, retoucher l'image de marque de la jeune comédienne pour créer une de ces « blondes glacées » qu'il affectionne, et dont la sensualité ne demande qu'à s'affirmer. Préfigurant des types de femmes telles que Eva Marie Saint, Tippi Hedren, voire Catherine Deneuve, elle devient une star d'un « érotisme discret » dans les trois films qu'elle tourne avec le réalisateur : Le crime était presque parfait (1954), où sa passivité n'est que feinte et où elle s'affranchit, non sans perversion, de son rôle de victime ; Fenêtre sur cour (1954), plus conforme en apparence à son image de mannequin vedette : le ballet de la séduction dans lequel elle entraîne James Stewart, à son tour passif, est assez réjouissant et elle s'y révèle digne des grandes vedettes féminines de la comédie. Puis Grace Kelly confirme son image d'« élégance sexuelle », comme l'avait lui-même définie Hitchcock, dans La Main au collet (1955), où sa beauté est mieux mise en valeur.
Grace Kelly ne reçut de récompense pour aucun de ces trois rôles ; c'est un film plutôt oublié aujourd'hui qui lui valut l'oscar en 1954 : The Country Girl (Une fille de la province), où elle incarne la femme d'un alcoolique, rôle plutôt inattendu pour Bing Crosby ! Elle n'eut pas beaucoup l'occasion, par la suite, de jouer sur le registre de l'humour à la Hitchcock, à l'exception peut-être d'une honorable comédie musicale de Charles Walters, High Society (1956) – son dernier film –, inférieur toutefois à Philadelphia Story, première version du même sujet.
Grace Kelly a également interprété : Le Cygne de Charles Vidor (1956), qui, en dépit d'une belle affiche (Alec Guinness, Louis Jourdan), ne rend pas hommage à ses dons pour la comédie ; Les Ponts de Toko-Ri (1955), où elle interprète le rôle de l'épouse de William Holden dans la lignée de comédiennes telles que Deborah Kerr ou Joan Fontaine ; et un film d'aventures, L'Émeraude tragique (1954), avec Stewart Granger.
La carrière de Grace Kelly s'achève lorsqu'elle épouse le prince Rainier III de Monaco. Néanmoins, elle aura marqué la production des années 1950 en incarnant un type de blonde vertueuse – à l'opposé du personnage narcissique de Marilyn Monroe à ses débuts – qu'elle a su dépasser avec une habileté plus « diabolique » qu'il n'y paraît. Un seul regret subsiste pour les spectateurs : qu'elle n'ait pu incarner la voleuse de Marnie, rôle que Hitchcock lui destinait à l'origine.
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Écrit par
- André-Charles COHEN : critique de cinéma, traducteur
Classification
Média