GREENE GRAHAM (1904-1991)
On commence par lire Graham Greene pour l'intrigue. De prime abord, son art du récit captive – peut-être par l'affabulation policière de la plupart de ses romans –, puis, en filigrane, apparaît bientôt une aventure intérieure aux horizons métaphysiques. On l'a parfois appelé le Mauriac anglais, cela pour deux raisons : parce que ses héros, de même que ceux de Mauriac, s'opposent comme en un contrepoint aux « gens bien », ensuite parce que, hanté de Dieu, il possède lui aussi des antennes pour capter la grâce qui sourd d'en bas. Il y a des affinités incontestables entre le héros du Nœud de vipères et le Scobie du Fond du problème, entre le Tueur à gages et Gabriel Gradère, entre Le Désert de l'amour et La Fin d'une liaison.
Cependant, le romancier anglais suit des chemins bien à lui, et, lorsqu'il s'écarte de ses obsessions majeures, il donne l'impression de se divertir tout en intéressant moins.
Le lecteur des Voyages avec ma tante retourne volontiers aux œuvres antérieures pour y retrouver l'un des écrivains les plus attachants du xxe siècle.
Évasions ou quête ?
Graham Greene aimait à citer ce vers de Wordsworth : « L'enfant est le père de l'homme. » C'est dans l'enfance que se forment les héros, les Judas et les écrivains. Né en 1904 dans la très bonne société britannique, Graham, fils du directeur de l'école de Berkhamstead, connut un drame précoce : n'appartenant pleinement ni au monde des enfants ni à celui des maîtres, il était sensible aux cruautés des uns et des autres. Il en résulta plusieurs fugues, puis un traitement psychanalytique, d'où l'adolescent sortit « normal », mais vidé de toute personnalité. Pour échapper à l'ennui, il risqua la mort à la « roulette russe ». Chroniquement, il lui faudra, pour reprendre goût à la vie, le contact de la violence, de la misère et de la mort, qu'il trouve aux « points chauds » du globe : Liberia de 1935, Mexique de 1939, Malaisie et Indochine de 1950, Cuba de Batista, Haïti de Duvalier, l'Argentine et ses guérilleros, Panamá et Omar Torrijos. Pour Greene, le monde est le théâtre d'un affrontement entre le Bien et le Mal ; mais il y a des secteurs calmes, où l'on risque d'oublier que la guerre fait rage, et de se laisser surprendre par ses formes insidieuses. Aussi Greene monte-t-il périodiquement en première ligne ; il en revient avec des impressions brûlantes, qu'il cherche à communiquer. Mais, s'il revient, c'est aussi parce qu'il ne peut rompre le lien qui l'unit à l'Angleterre, comme Anthony Farrant dans Mère Angleterre (England Made Me, 1935) ; il est comme le combattant des avant-postes qui, épuisé, soupire après le repos et les petits plaisirs de l'arrière, mais s'y sent vite blasé, désœuvré, écœuré par la mesquinerie des « planqués ».
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Écrit par
- George W. BARLOW : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur agrégé d'anglais
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Autres références
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ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature
- Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ , Jacques DARRAS , Jean GATTÉGNO , Vanessa GUIGNERY , Christine JORDIS , Ann LECERCLE et Mario PRAZ
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...l'Histoire, d'accéder à une conscience politique, comme en témoignent les préoccupations d'engagement et de solidarité dans les œuvres de George Orwell, Graham Greene, Christopher Isherwood ou Edward Upward. Reportages, autobiographies ou journaux (A Berlin Diary, 1930 ; The Road to Wigan Pier, 1937, etc.),... -
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