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GREENE GRAHAM (1904-1991)

Du « thriller » à l'aventure intérieure

L'Occident lui aussi sécrète la violence larvée. Dans ses thrillers, Greene fait partager au lecteur les détresses, l'angoisse, la rage des hors-la-loi. Le revolver que Greene tournait jadis contre lui-même, il le met dans la main d'un Raven, dans Tueur à gages (A Gun for Sale, 1936), d'un Conrad Drover, dans C'est un champ de bataille (It's a Battlefield, 1934), d'un Arthur Rowe, dans Le Ministère de la peur (The Ministry of Fear, 1943), d'un Wormold, dans Notre Agent à La Havane(Our Man in Havana, 1958), pour détruire ceux qui incarnent l'oppression, l'exploitation, l'avilissement. Mais, souvent, ils trouvent en face d'eux d'autres victimes de la société, et c'est leur frère qu'ils tuent, quand l'arme ne leur tombe pas des mains en le reconnaissant.

Une autre jungle interdite qu'explore Greene, celle des relations amoureuses, n'a rien d'un vert paradis. C'est un enfer qu'il y a d'abord entrevu (les petites bonnes irlandaises qui paient cher un instant d'évasion, les pactes de suicide), et c'est un enfer qu'y voient ses héros adolescents : Pinkie, le gamin révolté du Rocher de Brighton (Brighton Rock, 1938) ; Coral Musker, victime résignée des appétits masculins dans Orient-Express (Stamboul Train, 1932). Si la douce Elizabeth de L'Homme et lui-même (The Man Within, 1929) représente pour Andrews l'équilibre, la réconciliation avec le monde et lui-même, il cède à Lucy, qui incarne la volupté. Fascination mêlée de dégoût, à laquelle cède aussi Conrad Drover ; mais la femme ne fait plus figure d'ennemi : l'ennemi est en elle comme en son partenaire. Cet enfer de la chair, Greene le décrit – notamment dans les nouvelles de Pouvez-vous nous prêter votre mari ? (May We Borrow Your Husband ? 1967) – avec un réalisme impitoyable, que d'aucuns trouvent complaisant. Certains sentiments aussi empoisonnent l'amour, non seulement la jalousie – L'Amant complaisant (The Complaisant Lover, pièce de 1959) ; Les Comédiens (The Comedians, 1966) –, mais la pitié – Le Ministère de la peur (The Ministry of Fear), Le Fond du problème (The Heart of the Matter, 1948). Et si deux amants trouvent une parfaite harmonie, ce peut être, comme dans La Fin d'une liaison (The End of the Affair, 1951), Dieu lui-même qui y porte le glaive.

Greene a trouvé dès vingt-deux ans une foi très vive, abandonnant un anglicanisme étriqué pour le catholicisme, qui tend davantage à assumer tout l'homme et tous les hommes. Mais, dans l'Église romaine, il rencontre toujours des compromissions à déplorer et des censeurs prompts à voir en lui des restes de protestantisme, des relents d'hérésie (pélagianisme ou jansénisme, voire les deux !). En fait, il se méfie des spéculations théologiques qui sont un danger pour la foi, dans la nouvelle « A Visit to Morin ». Ses Essais catholiques (1951) sont bien moins riches que ses grands romans, où la condition humaine est affrontée par des pécheurs, des criminels même. Rien d'apologétique : à tous, il accorde une immense sympathie, à Scobie qui se suicide parce qu'il n'attend pas assez de la miséricorde divine et n'arrive pas à concilier ses amours humaines (Le Fond du problème), à Pinkie qui se précipite vers l'enfer par orgueilleuse soif d'absolu (Le Rocher de Brighton), au prêtre mexicain traqué qui a désespéré, bu et forniqué (La Puissance et la gloire [The Power and the Glory, 1940]), à Querry qui a cherché la paix dans l'amputation spirituelle (R. Las Vergnas ne voit-il pas dans La Saison des pluies [A Burnt-Out Case, 1961] la « part du feu » ?). Greene choisit volontiers comme personnage central un douloureux cynique – Bendrix dans La Fin d'une liaison, Fowler[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur agrégé d'anglais
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

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    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...l'Histoire, d'accéder à une conscience politique, comme en témoignent les préoccupations d'engagement et de solidarité dans les œuvres de George Orwell, Graham Greene, Christopher Isherwood ou Edward Upward. Reportages, autobiographies ou journaux (A Berlin Diary, 1930 ; The Road to Wigan Pier, 1937, etc.),...
  • NOTRE AGENT À LA HAVANE, Graham Greene - Fiche de lecture

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    On peut en dire autant de la plupart des adaptateurs de Graham Greene. Presque tous ses romans ont inspiré des films, mais, le plus souvent, la transposition a tamisé l'œuvre, n'en gardant que l'intrigue, les linéaments policiers aux dépens de l'intériorité. Espions sur la Tamise...