SWIFT GRAHAM (1949- )
Confessions anglaises
Si les romans de Swift laissent retentir des événements sur plusieurs siècles pour tenter de retrouver une origine insaisissable, ils se caractérisent également par une grande densité temporelle. Ainsi, Le Marchand de douceurs, La Dernière Tournée, La Lumière du jour et Le Dimanche des mères se déroulent sur une seule journée, Demain au cours d’une seule nuit. Cette concentration confère une urgence au récit alors que les narrateurs loquaces ou réticents livrent leurs confessions à un moment si particulier pour eux. Dans Le Marchand de douceurs, c’est au dernier jour de sa vie que Willy Chapman tente d’engager un dialogue avec sa fille absente. Dans Le Pays des eaux, le professeur s’adresse avec fébrilité et passion à ses élèves le jour de son renvoi de l’école après que son épouse, atteinte de démence, a volé un bébé dans un supermarché. La Dernière Tournée, roman polyphonique aux accents faulknériens, juxtapose soixante-quinze fragments et une multiplicité de voix narratives marquées d’oralité, tandis les personnages cheminent de Londres à Margate où ils disperseront les cendres de leur ami récemment décédé. Insatiable raconteur d’histoires, le détective de La Lumière du jour tient en haleine un lecteur auquel il s’adresse, à moins que ce ne soit à la femme qui l’attend en prison. Dans Demain, c’est avec appréhension qu’une mère répète le discours qu’elle tiendra le lendemain à ses jumeaux de seize ans sur les circonstances de leur conception. Dans chacun de ces romans, la voix insistante appelle l’autre, qui souvent se dérobe.
Nostalgique et lumineuse, l’écriture de Swift, dont le deuxième recueil de nouvelles s’intitule De l’Angleterre et des Anglais (2014), est solidement ancrée dans des lieux empreints d’anglicité : Londres et ses banlieues du Sud (Bermondsey, Wimbledon, Lewisham), les stations balnéaires de Margate et Brighton, la campagne du Devon, du Kent et des Fens de l’East Anglia, zone liminale entre l’eau et la terre qui devient un paysage mental envoûtant. Chez Graham Swift, l’esprit du lieu s’inspire en le renouvelant du modèle de ses illustres prédécesseurs victoriens (Charles Dickens ou Thomas Hardy). Il s’inscrit aussi au cœur de la langue, comme en atteste son imitation du cockney londonien dans La Dernière Tournée, qui donne une épaisseur poétique au parler vernaculaire. De la plume fluide et limpide de Swift naît un art maîtrisé de l’épure qui confère à son œuvre une force émotionnelle unique.
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Écrit par
- Vanessa GUIGNERY : habilitée à diriger des recherches en études anglophones, professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon
Classification
Média