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GRAMMAIRE

Dans son acception la plus usuelle, le terme grammaire désigne une activité de discours portant sur une langue, qu'on peut appeler la langue-objet. La nature la plus générale de cette activité peut se résumer ainsi : décrire les propriétés de cette langue-objet. Le but est variable : il peut être pratique, faire connaître les propriétés d'une langue donnée à ceux qui les ignorent, soit qu'ils ne parlent pas cette langue, soit que, la parlant, ils ne la parlent pas correctement (étant donné certains critères du correct, reçus dans la communauté pertinente) ; l'illustration la plus évidente de cette situation est fournie par l'enseignement : aussi l'activité grammaticale se trouve-t-elle largement associée à l'instruction et à l'institution de l'école. L'information peut également être destinée, hors institution scolaire, à des sujets cultivés, qui veulent connaître, dans ses détails les plus subtils, la répartition du correct et de l'incorrect. Dans les deux cas, il s'agit de donner des informations.

Mais le but peut aussi être plus désintéressé : décrire à des fins de pure connaissance les propriétés d'une langue, comme on décrirait les propriétés d'un objet quelconque ; dans ce cas, la grammaire est pensée sur le modèle de la science et devra en respecter les contraintes. Elle rencontre alors un autre discours, beaucoup plus récent qu'elle : la linguistique.

La description proposée par la grammaire est elle-même exprimée en langue ; il peut arriver que la langue-objet et la langue de la grammaire soient différentes (ainsi, une grammaire allemande rédigée en français) ; il peut se faire que la langue-objet et la langue de la grammaire soient la même (ainsi une grammaire française rédigée en français).

Cette activité est certainement fort ancienne. Il est facile de démontrer que l'invention d'un système d'écriture quelconque, aussi primitif qu'il soit, la suppose sous une forme très poussée. Même en l'absence de documents écrits proprement grammaticaux, on peut donc conclure que l'activité grammaticale est plus ancienne que la plus ancienne des écritures attestées. Ce qui ne veut pas dire qu'elle n'existe que dans les langues écrites.

Il peut en effet exister une activité grammaticale dans des langues à tradition purement orale. Au reste, l'activité grammaticale n'est pas seulement ancienne, elle est aussi fort répandue : s'il est vrai que toutes les cultures ne la connaissent pas, il est vrai aussi que beaucoup l'ont pratiquée indépendamment les unes des autres. Ainsi, il existe une tradition grammaticale chinoise, une tradition grammaticale arabe, sanskrite, grecque, gréco-latine, etc. Ce n'est donc pas une invention strictement européenne, même s'il est vrai que, notamment par les activités missionnaires, la terminologie, les concepts fondamentaux et les méthodes mêmes de la tradition européenne se sont largement répandus, aux dépens parfois des traditions grammaticales autochtones. Malgré cette diversité, il semble qu'on puisse définir un concept général de grammaire qui s'applique à toutes les traditions.

L'idée de grammaire

À supposer même qu'on s'en tienne à la seule tradition grammaticale européenne, il convient de prendre en compte une grande diversité historique. Cette tradition, qui forme le fond de ce qu'on pourrait appeler l'opinion grammaticale courante et qu'on retrouve, plus ou moins semblable à elle-même, dans les grammaires usuelles (scolaires ou non), remonte pour l'essentiel à la grammaire grecque, réinterprétée par les grammairiens latins, puis sans cesse remaniée au fil des siècles. C'est dire que le terme grammaire appartient à des configurations intellectuelles fort différentes et même absolument hétérogènes[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VII (département de recherches linguistiques)

Classification

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