PORT-ROYAL GRAMMAIRE DE
De 1644 à 1660, Claude Lancelot, professeur aux Petites Écoles de Port-Royal des Champs rédige une série de grammaires (latine, grecque, italienne, espagnole) qui instaurent une importante réforme dans l'enseignement des langues et entraîneront un grand bouleversement épistémologique. Jusqu'alors les manuels d'enseignement des langues énonçaient les règles de grammaire et les illustraient d'exemples, mais règles et exemples étaient formulés dans la langue à enseigner. L'élève devait apprendre la règle de grammaire dans la langue même que cette règle décrivait et que l'exemple appuyait. Avec les grammaires de Lancelot on distingue langue d'enseignement et langue à apprendre. L'élève aura pour langue d'enseignement sa langue maternelle et c'est celle-ci qui décrira les caractères, les éléments, les règles de la langue à apprendre. Les exemples sont, bien entendu, dans la langue à apprendre, mais la règle qu'ils illustrent, le commentaire qui les suit sont formulés dans la langue naturelle. Cette démarche pédagogique se fondait sur la raison qu'il est plus aisé d'aller progressivement par le connu vers l'inconnu que d'entrer sans délai dans un univers auquel on est sourd. Mais cela suppose que l'on s'attache moins aux formes et aux usages de la langue telle qu'elle se réalise qu'aux principes généraux qui la gouvernent ; qu'on peut pénétrer cet ensemble de principes peu à peu, la langue naturelle fonctionnant comme métalangue, par rapport à la langue à apprendre. C'est du même coup reconnaître à la langue deux niveaux : un niveau apparent, celui de la langue parlée, réalisée dans sa complexité de mots, d'usages, qui constituent en quelque sorte son aspect sensible et un autre niveau, non apparent, celui des principes qui régissent son fonctionnement et permettent de la décrire. L'utilisation d'une langue A pour décrire une langue B fait plus que rénover la pédagogie, elle institue la langue en objet de savoir.
C'est à partir de là que peut prendre corps le projet d'une grammaire générale. En 1660, Lancelot et Arnauld publient une Grammaire générale et raisonnée, contenant les fondements de l'art de parler, expliqués d'une manière claire et naturelle les raisons de ce qui est commun à toutes les langues et les principales différences qui s'y rencontrent... Comme l'indique ce titre, il ne s'agit pas ici de comparer diverses langues entre elles, mais de découvrir et de formuler les principes auxquels obéissent toutes les langues, de définir le langage, dont les langues particulières ne sont que des réalisations particulières. Pour ce faire, Arnauld et Lancelot ne recourent qu'à peu d'exemples, empruntés au français et au latin. En effet, si la grammaire peut, à travers quelques exemples, remonter au niveau des principes universels, elle atteindra le niveau des lois qui valent pour toutes les langues particulières. C'est admettre l'universalité de la raison. La grammaire générale peut s'abstenir de décrire la diversité des langues, les usages particuliers découlant nécessairement de la raison qui les fonde. Jusqu'à la fin du xviiie siècle, on ne séparera pas les deux termes de « générale » et de « raisonnée ». On suppose donc que les langues ont toutes un fondement commun, celui de la communication entre les hommes, et que cette communication s'opérant par la parole, celle-ci a pour fonction d'imiter la pensée, d'en offrir une représentation. La parole reflète la pensée et cette analogie interne s'explique par l'idée fondamentale que le langage est représentation de la pensée logique, idée que l'on retrouve dans toutes les productions et mises en ordre de la science de cette époque. La logique étant universelle, il doit[...]
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Écrit par
- Michel BRAUDEAU : écrivain
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