GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET RAISONNÉE, Antoine Arnauld et Claude Lancelot Fiche de lecture
Antoine Arnauld (1612-1694) est l'un des chefs de file du jansénisme, qui fut l' adversaire à la fois des Jésuites et des mouvements protestants. En France, ce courant dissident du catholicisme a son centre intellectuel à Port-Royal. Arnauld est l'auteur, avec Claude Lancelot, en 1660, d'une Grammaire générale et raisonnée et, en 1662, avec Pierre Nicole, de La Logique, ou l'Art de penser. Dans ces ouvrages, il suit une inspiration cartésienne, acquiesçant à l'idée d'une raison partagée sous-jacente à l'ensemble des langues. Articulant logique et grammaire, il détermine les oppositions cardinales de la « grammaire générale » autour de la définition du signe et de l'opposition nom/verbe.
Claude Lancelot (1616-1695), lui, a rejoint l'abbaye de Port-Royal en 1638. Il devient le collaborateur d'Arnauld – qui est le véritable inspirateur de la Grammaire générale et raisonnée – mais il a assumé seul la rédaction de plusieurs méthodes d'apprentissage du latin (1644), du grec (1655), de l'italien (1659) et de l'espagnol (1660). Le succès de ces ouvrages composés à des fins pédagogiques est très grand.
Une théorie du signe
« Ainsi l'on peut définir les mots, des sons distincts et articulés dont les hommes ont fait des signes pour signifier leurs pensées.
C'est pourquoi on ne peut bien comprendre les diverses sortes de significations qui sont enfermées dans les mots, qu'on n'ait bien compris auparavant ce qui se passe dans nos pensées, puisque les mots n'ont été inventés que pour les faire connaître.
Tous les philosophes enseignent qu'il y a trois opérations de notre esprit : concevoir, juger, raisonner.
[...] D'où l'on voit que la troisième opération de l'esprit n'est qu'une extension de la seconde ; et ainsi il suffira, pour notre sujet, de considérer les deux premières, ou ce qui est enfermé de la première dans la seconde ; car les hommes ne parlent guère pour exprimer simplement qu'ils conçoivent, mais c'est presque toujours pour exprimer les jugements qu'ils font des choses qu'ils conçoivent.
Le jugement que nous faisons des choses, comme quand je dis la terre est ronde, s'appelle proposition ; et ainsi toute proposition enferme nécessairement deux termes ; l'un appelé sujet, qui est ce dont on affirme, comme terre ; et l'autre appelé attribut, qui est ce qu'on affirme, comme ronde ; et de plus la liaison entre ces deux termes, est.
[...] Et ainsi la plus grande distinction de ce qui se passe dans notre esprit, est de dire qu'on y peut considérer l'objet de notre pensée, et la forme ou la manière de notre pensée, dont la principale est le jugement : mais on y doit encore rapporter les conjonctions, disjonctions, et autres semblables opérations de notre esprit, et tous les autres mouvements de notre âme, comme les désirs, le commandement, l'interrogation, etc. »
Les auteurs ancrent leur réflexion dans un processus qui va de la pensée à son expression, partant d'une forme abstraite de la conception, semblable à la res cogitans cartésienne, pour aboutir au jugement et à l'expression. Le signe n'est plus le représentant d'un objet mais celui d'un acte mental. Il constitue la médiation entre les deux plans de la pensée et de la matière. Cette démarche dominera l'histoire de la « grammaire générale », des Encyclopédistes jusqu'aux Idéologues, Destutt de Tracy notamment.
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Écrit par
- Gabriel BERGOUNIOUX : professeur à l'Université d'Orléans
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- 1 031 mots
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