- 1. Définition médiévale d'une science grammaticale
- 2. La Renaissance : élargissement des horizons, maintien des traditions, stagnation de la réflexion théorique
- 3. La représentation classique : l'idéal d'unité de la grammaire générale
- 4. Le XIXe siècle : dimension historique et disciplines spécifiques
- 5. L'héritage du structuralisme : quelle science de la grammaire ?
- 6. Après Chomsky
- 7. Bibliographie
GRAMMAIRES (HISTOIRE DES) Du Moyen Âge à la période contemporaine
Le Moyen Âge marque une rupture dans l'histoire des grammaires. Le savoir de la langue entre en effet en dialogue avec la philosophie et la logique. Cette dimension spéculative influera profondément sur son évolution, en l'amenant à concevoir l'idée de grammaire universelle, tournée vers l'étude des traits communs à toutes les langues. Cette réflexion, qui lie étroitement art de parler et art de penser, trouve des prolongements à l'âge classique dans la grammaire de Port-Royal, ou encore, plus près de nous, dans l'œuvre de Noam Chomsky.
Définition médiévale d'une science grammaticale
Au Moyen Âge, la grammaire, l'un des trois « arts du langage » (trivium), avec logique et rhétorique, ouvre le cursus universitaire : fondée sur Donat et Priscien, elle sert à interpréter et à commenter les textes, puis, avec la redécouverte successive d'Aristote et les progrès de la logique, elle devient une réflexion originale sur le langage : 1. en confrontant à ses définitions celles des logiciens : pour Priscien, le nom signifie « une substance avec ses attributs caractéristiques », mais pour saint Anselme (De grammatico, « Sur le terme grammairien »), le substantif blancheur exprime une qualité et l'adjectifblanc, de même signification, consignifie (= évoque et suppose l'existence de) l'être ou l'objet qui la possède ; 2. en se donnant pour objet propre le discours « correct » (congruus), conforme aux règles de la grammaire, la logique traitant du discours conforme à la vérité (verus). Avec Guillaume de Conches et son élève Pierre Hélie, vers 1125-1150, elle se définit non plus comme art, mais comme science (Fredborg) énonçant donc, suivant l'exigence d'Aristote, des règles de portée générale, en établissant leurs causes. Grammaire universelle, « s'abstrayant de toute langue particulière » (Robert Kildwardby), « unique et la même chez tous » (Roger Bacon, 1220-1290), elle étudie les traits communs à toutes les langues – opposition voyelle/consonne ou sujet/prédicat et surtout l'obligation de décomposer en mots, dans la successivité du discours, une pensée globale et instantanée – et laisse à la grammaire impositive les règles particulières à chaque langue ; 3. en élaborant, à partir de 1250, les concepts techniques pour l'analyse du signifié grammatical, consignification et mode de signifier (Pinborg) : une première « imposition », croit-on communément, a donné un nom (dictio) aux choses, une deuxième en fixe le statut grammatical : la même douleur, comme subie, s'exprime par une interjection, comme notion permanente, par un substantif, comme vécue dans le temps par un verbe. Les modes de signifier essentiels définissent les parties du discours et les spéciaux, leurs sous-classes : ainsi nom et pronom signifient tous deux sous le mode du permanent, mais sous le mode de la saisie déterminée (chaque nom a un sens défini), ou indéterminée (démonstratif ou anaphorique, le pronom change de référent suivant les emplois). Les modes accidentels déterminent nombre, genre, cas, etc. et les modes relatifs, les relations syntaxiques. Dès la première génération de grammairiens modistes, vers 1270, Martin de Dacie abandonne le cadre logique sujet-prédicat et distingue seulement des constructibles unis dans une construction intransitive (Socrate dort ou le livre blanc) ou transitive ([je]lis un livre ou le livre de Pierre), suivant qu'ils réfèrent à une ou à deux substances, d'où accord (concordantia) ou rection (regere, regimen) : binarisme rigoureux, mais qui embrasse difficilement une phrase complexe à termes nombreux. L'antique notion d'ordre naturel (la substance précède obligatoirement ses accidents) permet d'attribuer un rang, antécédence ou subséquence (a parte ante/a parte post) aux termes[...]
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Écrit par
- Jean-Claude CHEVALIER : professeur à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
- Jean STÉFANINI : professeur à l'université de Provence, chaire d'histoire de la langue française
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
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