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GRAMMAIRES (HISTOIRE DES) Du Moyen Âge à la période contemporaine

L'héritage du structuralisme : quelle science de la grammaire ?

Le structuralisme des années 1920-1930 a des sources multiples, jusque dans l'organicisme du xixe siècle (Koerner), convergeant dans l'œuvre de Saussure et dans celle de Bloomfield. Le premier dégage de la pratique de la grammaire comparée principes et concepts qui la fondent (arbitraire du signe ; prise en considération des seuls rapports abstraits, à l'exclusion des réalités phonétiques dès le Mémoire de 1878 – Bopp et ses contemporains opéraient déjà sur des lettres, i.e. les phonèmes intuitivement dégagés par les graphies – ; distinction synchronie-diachronie évoquant celle du statique et du dynamique chez Auguste Comte et théorisant la comparaison des états de langue de la grammaire comparée, etc.). Son héritage est recueilli par les écoles danoise (Bröndal, Hjelmslev), genevoise (Bally, Sèchehaye, Frei), pragoise (Troubetskoy, Jakobson), française (Meillet, Benveniste, Guillaume et, dans une certaine mesure, Pichon).

Le manuel de Bloomfield (1933), lui-même formé par le distributionnalisme des grammairiens indiens, la tradition américaine de description des langues amérindiennes, le comparatisme et le béhaviorisme, assura plus de cohésion à la linguistique américaine des années 1930-1950, dont le distributionnalisme atteint sa perfection avec Z. Harris et s'étend à l'analyse de discours, mais la tradition de Sapir a maintenu l'option mentaliste brillamment illustrée par Whorf. Les cadres grammaticaux hérités de la grammaire générale, relayée par la psychologie condillacienne et associationniste, puis « mentaliste » de Wundt et de van Ginneken, avaient suffi pour des recherches essentiellement phonétiques et morphologiques.

Les limites de l'analyse syntaxique en constituants immédiats, l'attention insuffisante portée aux synthèses de Marty, Bühler ou Gardiner, le heurt des idéologies enfin, la concurrence universitaire et le talent propre de l'auteur expliquent le succès des Structures syntaxiques (1957) de Chomsky et l'ampleur du débat historique sur la Linguistique cartésienne (1966). En plus de trente ans de travail, l'école chomskyenne a plusieurs fois changé de modèle, et elle est fortement contestée par ceux-là mêmes qui ont été formés par elle. Elle a cependant fait naître un style et permis l'avancement de la mathématisation de la grammaire, à partir, initialement, d'une réflexion sur la théorie des langages formels, de son rapport aux langues naturelles et d'une interprétation des règles de grammaire comme des règles de réécriture (accessibles à un automate abstrait) auxquelles on joignait des transformations et des contraintes sur les transformations. D'autres modèles (grammaires applicatives, grammaires de Montague, etc.) ont été proposés. Certains d'entre eux, construits à la fin des années 1980, peuvent être considérés comme des descendants des modèles générativistes. D'autres contestent fortement l'autonomie de la syntaxe proposée par Chomsky et mettent essentiellement l'accent sur le lexique. En tout état de cause, ce style nouveau a permis une liaison avec l'informatique et la naissance d'une nouvelle forme de technologie linguistique, ce que l'on nomme les industries de la langue (dictionnaires électroniques, analyseurs automatiques, correcteurs orthographiques, etc.).

— Jean STÉFANINI

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
  • : professeur à l'université de Provence, chaire d'histoire de la langue française
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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