GRAMMAIRES (HISTOIRE DES) La tradition arabe
Origines et développement de la tradition des grammairiens arabes
C'est probablement dès le lendemain de la conquête islamique (début viiie siècle) que se situent les premières réflexions sur la langue arabe. Celles-ci semblent avoir d'abord été le fait des « lecteurs » du Coran, chargés de fixer et de transmettre les normes de la récitation correcte du texte sacré, et soucieux d'en préserver l'intangibilité à une époque où la langue parlée subit, au contact des populations vaincues, une brusque et profonde mutation. Ce n'est cependant qu'à la fin du siècle, avec al-H̲alīl (mort en 786) et son élève Sībawayhi (mort en 791) que s'établit la première grammaire systématique de l'arabe (Carter, 1968). Le grand traité de Sībawayhi, le premier qui soit historiquement attesté, témoigne déjà d'un haut niveau théorique et manifeste certains traits spécifiques dont la tradition postérieure ne se départira plus.
Cette originalité a pu faire douter que les premiers grammairiens arabes aient subi l'influence de traditions plus anciennes, en particulier grecques (Carter, 1972). Il y a cependant de bonnes raisons de penser qu'ils ont pu emprunter certains éléments non pas à la pensée aristotélicienne « savante », dont les œuvres ne seront traduites qu'au ixe-xe siècle, mais à la tradition scolaire des centres de culture grecque du Moyen-Orient, dominés par la tradition stoïcienne (Versteegh, 1977). Il n'en reste pas moins que les éléments ainsi empruntés ont ensuite été réemployés dans un contexte théorique différent, et pour répondre à des fins spécifiques.
Jusque vers la fin du ixe siècle, c'est essentiellement à travers la controverse et la polémique que se développe la pensée grammaticale ; la plus célèbre est celle qui oppose les grammairiens de Baṣra (al-Māzinī, mort en 828, al-Mubarrid, mort en 898) à ceux de Kūfa (al-Kisā'ī, mort en 865, Ia‘lab, mort en 904). Il ne s'agit cependant pas de deux écoles défendant chacune une théorie complète et achevée ; les désaccords portent plutôt sur des questions particulières concernant des classes précises de faits, ou des points de méthode, le tout étant aggravé par des rivalités personnelles ou locales. Au demeurant, la nature encore relativement informelle de la pensée grammaticale à cette époque ne lui permettait pas de se constituer en système. Ce n'est qu'au xe siècle que ce pas décisif sera franchi, dans un contexte dominé par la traduction et la vulgarisation des textes de base de la pensée grecque – et en particulier aristotélicienne – qui confronte les grammairiens à des exigences théoriques nouvelles, et les oblige à une réflexion plus approfondie sur la nature du langage, et sur les fondements logiques de la grammaire ; cette réflexion atteindra son point culminant avec Ibn Ǧinnī (mort en 1002).
C'est sur ces bases que se constitue et s'institutionnalise ce que l'on pourrait nommer la théorie standard des grammairiens arabes ; celle-ci devient une matière fondamentale de l'enseignement classique dispensé par les medersas qui se mettent en place à partir du xie siècle dans l'ensemble du monde musulman. À partir de ce moment, la pensée grammaticale se trouve de plus en plus marquée par un certain conservatisme ; qualitativement, l'essentiel de la production (au demeurant fort abondante) est constitué de manuels, présentant des versions plus ou moins développées de la théorie standard, selon le public visé. Il s'agit souvent de commentaires d'ouvrages antérieurs. C'est ainsi que la 'Alfiyya, poème didactique d'Ibn Mālik, suscitera des dizaines de commentaires.
Il n'en reste pas moins que, sur cette toile de fond, se détachent de grandes figures, qui n'ont rien à envier à leurs prédécesseurs pour l'originalité[...]
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Écrit par
- Georgine AYOUB : docteur de troisième cycle (linguistique), lecteur à l'université de Paris-III
- Georges BOHAS : docteur ès lettres, directeur de l'Institut français d'études arabes de Damas
- Jean-Patrick GUILLAUME : agrégé d'arabe, pensionnaire scientifique à l'Institut français d'études arabes de Damas
- Djamal Eddine KOULOUGHLI : agrégé d'arabe, docteur de troisième cycle en linguistique, C.N.R.S.
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