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GRAMMAIRES (HISTOIRE DES) La tradition arabe

Recherches sémantiques

Chronologiquement, les premiers travaux en rapport avec des préoccupations sémantiques sont des enquêtes lexicographiques. Dès le début du viiie siècle, de telles enquêtes sont entreprises pour recueillir, auprès d'informateurs issus de tribus considérées comme parlant un arabe pur, l'énorme masse de données linguistiques (poèmes, proverbes, récits...) qui vont servir de référence dans le travail d'explicitation lexicale et grammaticale du Texte coranique.

Sur cette base vont se développer, surtout à partir du ixe siècle, les premières recherches lexicologiques. Les premières productions seront, dans ce domaine, des lexiques organisés autour de divers axes thématiques : anatomie humaine ou animale, zoologie, botanique, etc. ou des recueils de mots rares (nawādir).

Plus tard (xe-xie s.), la production se spécialise et s'affine, donnant naissance à de véritables études de sémantique lexicale comme le Kitāb al-Furūq de Abū Hilāl al-‘Askarī. Ces études discutent de problèmes importants tel celui des rapports entre nom et designatum, celui des divers types de relations (opposition, complémentarité, intersection, inclusion...) entre termes lexicaux dans un même domaine notionnel, ou encore le débat entre partisans et adversaires de la thèse de l'existence de la synonymie stricte dans la langue. Ces derniers sont d'ailleurs amenés, en argumentant leur position, à élaborer une conception qui rappelle l'opposition moderne entre connotation et dénotation. Les acquis de la lexicologie et les débats qu'elle a suscités vont avoir des prolongements divers, d'une part, dans les théories grammaticales proprement dites et, d'autre part, dans les recherches complexes et approfondies que développeront les spécialistes des Fondements de la jurisprudence ('uṣūl al-fiqh) sur la théorie de la signification.

À partir du ixe siècle apparaissent aussi les premières études significatives dans le domaine de la critique littéraire. Ces études, stimulées par le développement de la grammaire et des sciences coraniques, vont poser les jalons de la rhétorique arabe, en tirant d'ailleurs profit des œuvres d'Aristote en ce domaine.

Le grand débat qui domine ces travaux est celui de l'opposition entre forme (laf̱̣d) et sens (ma‘nā). La tentative d'élucider la nature exacte du dogme de l'inimitabilité du Coran ('i‘ǧāz) va exacerber ce débat entre partisans de la primauté du sens dans la qualité littéraire du texte et tenants de la primauté de la forme. Les tentatives de synthèse entre ces deux extrêmes resteront superficielles et peu convaincantes jusqu'à l'intervention magistrale, au xie siècle, de ‘Abd al-Qāhir Al- Ǧurǧānī, qui, dans deux ouvrages majeurs, Dalā'il al-'I‘ǧāz et 'Asrār al-Balāġa, jette les bases méthodologiques et techniques d'une véritable sémantique grammaticale et d'une théorie générale des figures. Dans le premier ouvrage, Al-Ǧurǧānī établit que ce qui caractérise en propre un texte, ce n'est ni son contenu thématique, ni son vocabulaire, ni même l'utilisation de telles ou telles figures ou images, mais l'agencement particulier des termes entre eux (na̱̣dm), agencement nécessairement lié aux possibilités de choix indissolublement syntaxiques et sémantiques qu'offre le système grammatical de la langue. Dans son second ouvrage, il développe une théorie à la fois puissante et fine du sens figuré dans les langues en général et en arabe en particulier. Les successeurs d'Al-Ǧurǧānī, bien qu'ils aient tenu son œuvre en grande estime, et qu'ils l'aient développée sur certains points, se sont montrés incapables d'assurer véritablement la relève. Avec eux, le génial système d'analyse du Maître évolue vers un système rhétorique à visée essentiellement didactique.[...]

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Écrit par

  • : docteur de troisième cycle (linguistique), lecteur à l'université de Paris-III
  • : docteur ès lettres, directeur de l'Institut français d'études arabes de Damas
  • : agrégé d'arabe, pensionnaire scientifique à l'Institut français d'études arabes de Damas
  • : agrégé d'arabe, docteur de troisième cycle en linguistique, C.N.R.S.

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