GRAMMAIRES (HISTOIRE DES) Les grammairiens grecs
Les « parties du discours » : la grammaire comme étude autonome
Le deuxième apport important du chapitre xx de la Poétique touche un point central – pour ne pas dire le point central – de la grammaire antique, celui des parties du discours. Nul doute qu'on ait observé depuis longtemps que, si parler consiste à assembler des mots, tous les mots formant le répertoire lexical de la langue n'ont pas les mêmes aptitudes combinatoires. Déjà Platon formulait, dans le Sophiste (261 d-262 c), la dichotomie fondamentale entre onoma et rhèma, en gros « nom » et « verbe », présentés comme les constituants obligés et complémentaires de l'énoncé minimal. Mais en fait il s'agit là d'une distinction plus logico-sémantique – entre sujet-agent et prédicat-action – que spécifiquement grammaticale – entre nom et verbe. Or, avec Aristote, on fait un pas de plus, décisif, en direction du grammatical dans la mesure où onoma et rhèma sont présentés dans la Poétique comme des espèces de mots spécifiées, non seulement par leur sens, mais par leur forme et la variation de cette forme : le nom connaît la flexion (ptôsis) casuelle et le verbe la flexion temporelle. Que cette observation, à nos yeux élémentaire, soit due ou non à Aristote importe peu : l'important est qu'elle ouvre la voie à des investigations formelles qui permettront un inventaire de plus en plus minutieux du matériau linguistique (grec) et conduiront à sa répartition en espèces grammaticales, dites merē logou. (Encore cette dénomination, que la tradition a imposée, n'est-elle pas celle d'Aristote qui, nous dit un de ses commentateurs, distinguait entre merē logou, « parties de la proposition », et merē lexeôs, « parties de l'expression » : ce sont ces dernières qui constituent l'objet par excellence de la grammaire antique.)
Combien y a-t-il de « parties du discours » ? Aristote en distinguait trois ou quatre : en plus du nom et du verbe, il avait isolé, sous le nom de conjonction (sundesmos) et d'articulation (arthron) deux classes assez mal différenciées (cf. Poét., xx, 1456 b, 38 sq.) de mots-outils dont le nom qu'il leur donnait (emprunté dans chaque cas au vocabulaire de l'anatomie) dit assez qu'ils se caractérisent par des fonctions auxiliaires de liaison. Les Anciens eux-mêmes nous disent comment, à partir de ces premières distinctions, les successeurs d'Aristote raffinèrent l'analyse : « Peu à peu, écrit Quintilien[Inst. Or., I, iv, 19], le nombre [des parties du discours] fut augmenté par les philosophes, surtout stoïciens : les articles furent d'abord ajoutés aux conjonctions, puis ce furent les prépositions ; aux noms [propres] on ajouta l'appellatif, puis le pronom, puis un mixte du nom et du verbe – le participe – et aux verbes eux-mêmes on ajouta l'adverbe. » Sans entrer dans le détail d'une histoire dont Quintilien se représente la dynamique comme celle d'un provignement, indiquons le point d'aboutissement auquel la tradition antique associe le nom du plus célèbre des philologues alexandrins : Aristarque (1re moitié du iie siècle av. J.-C.) est censé avoir fixé à huit le nombre des parties du discours. Les voici, dans leur ordre désormais canonique : nom, verbe, participe, article, pronom, préposition, adverbe, conjonction. On voit que, à des détails près (rattachement du participe au verbe, promotion de l'adjectif au rang de partie du discours, invention de l'interjection), la grammaire moderne continue à opérer, en matière d'analyse grammaticale, avec la panoplie d'outils rassemblés et mis au point par les Alexandrins.
On ne peut s'attarder ici à préciser l'apport respectif des deux grands courants auxquels la grammaire doit de s'être constituée en discipline autonome : celui des philosophes stoïciens[...]
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Écrit par
- Jean LALLOT : maître assistant à l'École normale supérieure
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