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GRAMMAIRES (HISTOIRE DES) Les grammairiens latins

Les incertitudes des « Systèmes »

Moins diffuse est la postérité de la description systématique de la langue. Elle est représentée à Rome par les Systèmes grammaticaux (Artes grammaticae). L'apparition de ces textes remonte au ier siècle de notre ère : Palémon, le maître de Quintilien, semble en être le premier auteur, mais les textes qui nous restent remontent au plus tôt au iiie siècle (Sacerdos), et les auteurs les mieux connus aujourd'hui datent des ive et ve siècles : Charisius, Diomède, Consentius, Donat et ses commentateurs, bien d'autres encore dont les ouvrages sont réunis dans les huit gros volumes des Grammatici latini de Keil.

Le plan de ces Systèmes répond à un triple objet : une description phonétique, une description morphologique où sont examinées l'une après l'autre les différentes catégories de mots (les « parties du discours »), enfin une analyse plus ou moins détaillée des « qualités et défauts de l'énoncé », où sont classés figures et tropes pour les qualités, solécismes et barbarismes pour les défauts. Un certain consensus s'établit entre les textes de ces différents auteurs, de telle sorte qu'on peut parler d'une « vulgate » grammaticale à Rome, dont Donat est le représentant le plus achevé parce que son analyse est de loin la plus méthodique.

En fait, pourtant, les variations sont souvent considérables d'un auteur à l'autre, aussi bien pour le plan de chaque Système que dans le détail de la doctrine. Le nombre des catégories de mots, la définition de chacune, ce qu'elles recouvrent, etc., tout varie d'un traité à l'autre. S'agissant par exemple de la voix verbale, un certain accord s'établit pour en reconnaître cinq espèces, mais avec des variations de deux à neuf si l'on considère l'ensemble des textes.

Ces fluctuations ne sont pas dues au hasard. Elles tiennent aux deux traits principaux qui caractérisent ces Systèmes, et qui proviennent de l'effort de systématisation qui avait été à l'origine de ce mode de description dans le domaine alexandrin.

Premièrement, les analyses de ces grammairiens sont essentiellement normatives. La description d'une langue comme système passe par l'étude des phénomènes de régularité qui apparaissent dans cette langue : c'est par là qu'il est possible de constituer une description qui se voudrait exhaustive à partir d'un nombre limité de catégories. Mais ce type de démarche passe volontiers du constat qu'il existe des régularités dans la langue, et donc que celle-ci forme un système, à l'affirmation que tout ce qui ne relève pas de ce système ne relève pas de la langue et doit donc en être exclu. Cette normativité de type analogique est renforcée à Rome par une normativité de type esthétique, les Latins ayant eu très tôt le sentiment que leur langue avait connu un âge d'or. La combinaison de ces deux types de normativité a entraîné la multiplication des critères de correction, et chaque grammairien appréciait à sa guise le poids relatif de ces différents critères. L'effort de systématisation de la description a ici entraîné la normativité, et celle-ci a entraîné la diversité, ou la confusion.

Deuxièmement, les grammairiens latins éprouvent un réel problème théorique quant à la délimitation de l'objet de ces Systèmes. Ils se sont efforcés en effet d'annexer à leurs traités tout ce qui pouvait faire l'objet d'une classification systématique, dans la mesure où cela correspondait à des variations linguistiques formelles. Certains grammairiens finissent ainsi par intégrer à leur Système des pans entiers de l'élocution de la rhétorique : tropes, figures, clausules métriques, etc. Mais cet élargissement incontrôlé de la grammaire est à la discrétion de chaque grammairien, et[...]

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  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de grammaire, assistant de latin à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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