GRAND TRAITÉ D'INSTRUMENTATION ET D'ORCHESTRATION MODERNES, Hector Berlioz
L'influence de Berlioz sur l'évolution de l'orchestre est considérable : en traitant celui-ci comme un instrument à part entière, en opérant une véritable révolution dans l'art d'assembler les timbres, le compositeur français apparaît comme le véritable inventeur des grandes formations symphoniques que nous connaissons aujourd'hui. Son action s'exercera de manière profonde et déterminante sur des musiciens aussi divers que Franz Liszt, Richard Wagner, Richard Strauss, Claude Debussy ou Maurice Ravel. Ses conceptions se manifestent dans ses œuvres musicales, bien entendu, mais également dans sa correspondance et ses écrits.
Le 10 août 1842, Berlioz écrit : « Je mets en ordre et je parachève en ce moment un Traité d'instrumentation [...] ; c'est un ouvrage qui manque dans l'enseignement et qu'on m'a engagé de toutes parts à entreprendre. Mes articles dans La Gazette musicale sur ce sujet n'en étaient que la superficie, la fleur, et maintenant il faut reprendre tout cela en sous-œuvre et s'occuper des moindres détails techniques » (Correspondance générale, t. II, p. 726).
Publié en 1843 à Paris, chez Schonenberger, son Grand Traité d'instrumentation et d'orchestration modernes constitue une étape capitale dans l'histoire de la musique ; il s'agit en effet du premier ouvrage qui place l'art de l'instrumentation et de l'orchestration au même rang que la mélodie, l'harmonie, le contrepoint ou le rythme (auquel Berlioz accordera cependant toujours la primauté) dans les éléments constitutifs du langage musical.
Didactique, ce traité se présente sous la forme d'une série d'études exhaustives sur les différents instruments. Berlioz y expose les utilisations traditionnelles des instruments, envisage leur emploi virtuose, explore des registres inusités, étudie les potentialités que recèle le matériau (baguettes à tête d'éponge pour les timbales, cordes frappées avec le bois de l'archet, etc.). De nombreux exemples musicaux étayent le discours. Parmi les compositeurs les plus cités figurent Gluck, Beethoven, Weber et Berlioz lui-même, qui n'hésite pas à se donner en modèle. En 1855, Berlioz donnera une deuxième édition de son traité, comportant de nouveaux exemples musicaux ainsi que des informations supplémentaires sur les instruments nouveaux (saxophones, concertina, orgue mélodium, etc.) et sur le chef d'orchestre ; ce dernier chapitre sera publié séparément en 1856 sous le titre Le Chef d'orchestre. Théorie de son art.
Les mises en garde du compositeur
Dans le premier chapitre, Berlioz met en garde ses lecteurs en écrivant que l'art de l'instrumentation « s'enseigne aussi peu que celui de trouver de beaux chants, de belles successions d'accords et des formes rythmiques originales et puissantes ». Il ajoute : « L'objet de cet ouvrage est donc d'abord, l'indication de l'étendue et de certaines parties essentielles du mécanisme des instruments, puis l'étude fort négligée jusqu'à présent, de le nature du timbre, du caractère particulier et des facultés expressives de chacun d'eux, et enfin celle des meilleurs procédés connus pour les grouper convenablement. Tenter de s'avancer au delà, ce serait vouloir mettre le pied sur le domaine de l'inspiration, où le génie seul peut faire des découvertes, parce qu'il n'est donné qu'à lui de le parcourir. »
Ouvrage très complet sur les différentes possibilités des instruments, ce traité est bien celui d'un artisan du timbre, ennemi de la formule et des petites « recettes » toutes faites.
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Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
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