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GRAND TRAITÉ D'INSTRUMENTATION ET D'ORCHESTRATION MODERNES, Hector Berlioz

Berlioz, musicien de l'avenir

Même si Berlioz ne donne pas véritablement de recette pour devenir un bon orchestrateur, son traité renferme néanmoins de nombreuses indications judicieuses et originales. Il détermine avec sûreté un grand nombre de nouvelles règles dans l'art d'assembler les timbres, ce qui fait de lui le premier musicien expérimental. Pourquoi expérimental ? D'abord parce que Berlioz a eu de nombreuses intuitions géniales sur le plan acoustique, qu'il n'a pu expliquer scientifiquement. Il conseille par exemple de masquer l'entrée de la clarinette dans l'extrême aigu par un grand accord qui s'efface par la suite pour la laisser jouer seule, une fois neutralisée la dureté de l'attaque. Ce procédé, utilisé dans la Symphonie fantastique, déconcerte l'auditeur qui, pendant quelques secondes, peine à reconnaître le son de la clarinette. Dans les années 1950, l'acousticien Émile Leipp expliquera ce phénomène : l'auditeur reconnaît un timbre grâce à son transitoire d'attaque, qui est le bruit (souffle d'un instrument à vent, frottement des cordes) avant la musique proprement dite. Sans ce transitoire d'attaque, l'auditeur ne reconnaît pas immédiatement l'instrument. Berlioz avait donc eu l'intuition de ce phénomène. Il l'avait utilisé pour, selon son expression, « donner plus de mystère ».

En lisant le chapitre intitulé l'orchestre, on s'aperçoit que Berlioz avait une grande connaissance des phénomènes acoustiques. Cette connaissance était empirique mais elle n'en était pas moins juste, et elle sera validée ultérieurement par les scientifiques.

Il est en effet le premier compositeur à avoir réfléchi sur la disposition des instrumentistes, sur les distances à maintenir entre instruments « destinés à se répondre », sur les différences à observer dans la façon d'orchestrer selon que la partition sera exécutée en plein air, sur une scène ou encore dans une fosse. En cas de réverbération excessive, il indique qu'il faut prévoir une installation de « corps propres à briser le mouvement des ondes sonores ». Il propose également « d'élever [les exécutants] les uns au-dessus des autres par une série de gradins, combinés de telle sorte que chaque rang puisse envoyer ses sons à l'auditeur sans aucun obstacle intermédiaire ».

Que Berlioz soit le premier à avoir consigné et théorisé de façon déterminante autant que systématique les principes de l'instrumentation et de l'orchestration ne cesse d'être éclairant. Sa conception de l'orchestre n'a pu exister qu'à partir d'une conscience très organisée de l'objet musical. C'est pourquoi il défend l'idée, alors nouvelle, de l'orchestre considéré comme un tout, comme une unité, comme un instrument. Il écrit au début du chapitre qu'il lui consacre : « L'orchestre peut être considéré comme un grand instrument capable de faire entendre à la fois ou successivement une multitude de sons de diverses natures [...]. Les exécutants de toute espèce dont la réunion le constitue, sembleraient alors en être les cordes, les tubes, les caisses, les plateaux de bois ou de métal, machines devenues intelligentes, mais soumises à l'action d'un immense clavier touché par le chef d'orchestre, sous la direction du compositeur. » Par cette métaphore, dans laquelle il personnifie l'instrument-orchestre jusqu'à la caricature, on comprend que Berlioz, qui n'était pas instrumentiste, préférait penser la composition en fonction de plans sonores et de combinaisons de timbres inouïs. Mais c'est en écrivant dans le premier chapitre de son Traité que « tout corps sonore mis en œuvre par le compositeur est un instrument de musique » qu'il inaugure une nouvelle façon de[...]

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Écrit par

  • : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)

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