GRANDE GUERRE ET SOCIÉTÉ
Dépassant par son horreur tout ce qui avait pu être imaginé, la Grande Guerre affecte profondément la société française. Si l’absence des hommes enrôlés et les risques qu’ils encourent sont au centre des préoccupations, l’arrière s’organise également pour faire face aux besoins de la guerre totale. Dans les campagnes et les usines, dans les écoles et les hôpitaux, la population est mobilisée pour l’effort de guerre. Cette participation redéfinit en particulier le rôle des femmes qui remplacent les hommes partis au front. La société est néanmoins traversée par des tensions importantes, qui soulignent les inquiétudes et les injustices face à la mobilisation et à la mort.
Un pays en armes
Le 1er août 1914, l’annonce de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie, alliée de la France, est suivie de la mobilisation française, qui tombe au moment où la population apprend la mort du leader socialiste Jean Jaurès, assassiné la veille. À l’annonce de la mobilisation générale, les Français sont saisis de stupeur. L’attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914, était passé presque inaperçu et rien ne laissait penser que la crise localisée déboucherait sur un conflit généralisé. Dans une France encore très rurale, la population est alors occupée aux travaux des champs en cette saison cruciale du calendrier agricole. Face à cette accélération des événements, la consternation et la résignation dominent. Ce qu’on exprime en public contraste avec ce qu’on ressent intimement, comme la peur et l’incertitude. Contrairement à une idée répandue, les manifestations d’enthousiasme sont rares et limitées aux milieux nationalistes et aux grandes villes, où des foules bruyantes accompagnent les soldats jusqu’aux gares. Les obligations militaires concernent tous les hommes âgés de 20 à 48 ans, appelés à rejoindre leur unité à partir du 2 août. Trois millions et demi d’hommes partent pour la guerre au cours de ce mois et on compte moins de 1 p. 100 d’insoumis. La plupart pensent partir pour une guerre courte et être rentrés pour Noël. Mais, dès l’automne de 1914, cet espoir est démenti par l’entrée dans une guerre d’usure, qui nécessitera la mobilisation de huit millions d’hommes, dans des unités combattantes ou à l’arrière.
Dans un discours du 4 août 1914, le président de la République Raymond Poincaré célèbre les vertus de « l’union sacrée », c’est-à-dire l’unité de toutes les forces du pays. Ce consensus se traduit sur le plan politique par la mise en sommeil des divisions idéologiques au profit de l’effort commun. Le renforcement du pouvoir de l’État se traduit aussi par un contrôle accru sur les populations. Les civils issus de pays ennemis (Allemands, Austro-Hongrois, Ottomans) sont regroupés dans des camps d’internement. Certaines populations, jugées indésirables, sont expulsées de Paris ou de la zone des armées – qui couvre le quart nord-est de la France –, et internées. C’est le cas des vagabonds ou des prostituées touchées par les maladies vénériennes. Les étrangers font l’objet de soupçons constants, dans un climat d’espionnite perceptible particulièrement dans les grandes villes. Les ressortissants des pays neutres, comme la Suisse, ne sont pas exempts de critiques, car on leur reproche leur indécision. Ces suspicions expliquent la mise à sac des laiteries Maggi à Paris en août 1914, sous l’effet de rumeurs d’empoisonnement du lait et d’une confusion entretenue par les milieux nationalistes sur la nationalité suisse de la firme, accusée d’espionnage au profit de l’Allemagne.
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Écrit par
- Emmanuelle CRONIER : maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Picardie-Jules-Verne, Amiens
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Médias