GRANDE GUERRE ET SOCIÉTÉ
L’effort de guerre de toute une population
Guerre moderne et industrielle, la Première Guerre mondiale est aussi la première « guerre totale », nécessitant la mobilisation de l’ensemble des ressources des pays belligérants. Le départ des hommes pour le front pose ainsi la question de leur remplacement dans les secteurs essentiels pour l’effort de guerre. Dans les campagnes, toute la population rejoint les champs, alors que les récoltes d’été sont en cours. Si le travail des femmes était déjà massif avant-guerre, dans les campagnes comme à l’usine, la « munitionnette », employée dans les usines, devient une des figures centrales de la guerre. Les femmes représentent ainsi jusqu'à 30 p. 100 de la main-d’œuvre dans l’industrie lourde, et même 60 p. 100 chez Citroën, une exception. En 1918, 430 000 d’entre elles travaillent dans ce secteur. Ces « remplaçantes » en pantalon sont célébrées pour leur rôle dans l’effort de guerre, mais l’émancipation des femmes reste limitée, ne serait-ce qu’en raison de la persistance d’une vision conservatrice qui considère la femme d’abord comme une mère et une consolatrice. Les hommes restent d’ailleurs majoritaires dans les usines de guerre, occupant les postes hiérarchiques ou spécialisés. Il a aussi fallu faire appel à la main-d’œuvre étrangère, venue d’Espagne, d’Afrique du Nord ou d’Asie pour remplacer les soldats. Quarante mille ouvriers chinois sont ainsi employés en France, comme dans les usines Schneider au Creusot. Pour faire face aux besoins croissants du front, nombre d’usines doivent se reconvertir et adopter une nouvelle organisation du travail fondée sur les principes du taylorisme. Les conditions de travail se dégradent fortement, car les cadences doivent permettre de produire cent mille obus par jour, objectif fixé par le ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, dès septembre 1914. La semaine de travail dure de 60 à 70 heures, les gestes sont répétitifs et pénibles, tandis que les ouvriers sont exposés à des risques importants liés à la manipulation d’explosifs ou de substances toxiques.
Les civils sont aussi sollicités pour financer une guerre dont le coût ne cesse de croître et qui grève les finances publiques. Une loi fiscale de 1914 institue l’impôt sur le revenu, tandis qu’en 1917 les bénéfices exceptionnels de guerre, réalisés notamment par le secteur de l’armement, font l’objet d’un impôt spécifique. Des emprunts de guerre sont lancés auprès des épargnants grâce à des campagnes d’affiches sur le thème de la solidarité avec le front. Des quêtes ont lieu au profit des populations démunies tels les réfugiés, les blessés ou les orphelins de guerre. Les œuvres de charité s’impliquent dans de nombreuses activités : tricot pour les soldats, colis pour les prisonniers ou soupes populaires quand la pénurie gagne le pays après 1917. D’autres organisent des spectacles pour les combattants ou confectionnent des pansements.
Nombre de femmes, issues notamment des classes aisées, s’engagent comme infirmières pour assister les services de santé qui doivent faire face à l’afflux de blessés, dont le nombre dépasse les trois millions de 1914 à 1918. L’« ange blanc » devient une figure emblématique de la Première Guerre mondiale, investie dans une mission patriotique et maternelle. À côté des infirmières professionnelles, cent mille femmes s’engagent auprès de la Croix-Rouge pour accompagner les blessés. Devenant mieux formées au fil de la guerre, les auxiliaires travaillent à proximité du front ou dans les hôpitaux de l’arrière, s’occupant notamment des soins postopératoires ou des repas. Ces infirmières incarnent pour les soldats un univers féminin absent du front, et même parfois un fantasme amoureux souvent représenté sur les cartes postales de l’époque.
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Écrit par
- Emmanuelle CRONIER : maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Picardie-Jules-Verne, Amiens
Classification
Médias