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GRANDE GUERRE ET SOCIÉTÉ

Une société sous tension

Cette société mobilisée pour l’effort de guerre et la victoire finale est traversée par des tensions importantes, qui soulignent les failles du consensus et de « l’union sacrée » au fil d’un conflit exigeant et interminable.

<em>Le Mari pacifique</em>, Paul Iribe - crédits : Cité internationale de la bande dessinée et de l'image

Le Mari pacifique, Paul Iribe

Dans l’armée française de la Première Guerre mondiale, plus d’un soldat sur deux a été mobilisé dans une arme non combattante, comme les transports ou l’administration. C’est le propre des conflits modernes, mais cela génère des injustices vivement ressenties par la population, car les risques sont très inégalement partagés. Au front même, les fantassins, rassemblant les recrues les plus jeunes, sont davantage exposés à la mort que les artilleurs, une arme qui connaît un grand développement pendant le conflit. La stigmatisation des « embusqués », ces hommes qui échappent aux postes les plus dangereux ou qui ont intrigué pour se faire réformer, est un thème récurrent à l’arrière comme au front. Lors des permissions, les combattants sont choqués par le nombre d’hommes en âge de combattre restés à l’arrière, et par les salaires des ouvriers des usines de guerre, qui sont, dans certaines branches, quinze fois supérieurs à ce que touche un soldat en 1918. Ces tensions minent parfois les relations au sein des familles ou des villages, où chacun espère que la guerre épargnera les siens.

Marraine de guerre et son filleul   - crédits : Coll. BDIC

Marraine de guerre et son filleul  

Les femmes, quant à elles, subissent une forte pression sociale à l’arrière. Soupçonnées de faire la noce en l’absence des soldats, qu’une séparation de longue durée rend réceptifs aux rumeurs, elles font l’objet de représentations contradictoires. L’imaginaire combattant se nourrit de visions idéalisées de femmes dévouées et aimantes, qu’ils n’ont guère l’occasion de fréquenter au front. Ces visions romantiques sont porteuses de grandes déceptions, et les reproches pleuvent sur les femmes accusées d’être trop sensibles aux charmes des embusqués et des Alliés. Lors des rares permissions, la capacité de séduction des combattants est mise à l’épreuve et ils doivent bien souvent se contenter de relations tarifées qui les rendent amers. Malgré le mythe qui entoure les marraines de guerre, les mœurs se sont peu libéralisées pendant la guerre et les comportements féminins restent très surveillés. Si l’infidélité féminine s’est avérée moins fréquente que les soldats ne le craignaient, bien des tensions sont nées d’un simple soupçon, comme le rappelle le scandale créé par le roman Le Diable au corps de Raymond Radiguet (1923), inspiré par la liaison de l’auteur avec une femme de soldat.

À l’échelle du pays, le consensus né à l’été de 1914 est remis en question par le prolongement de la guerre. La politique gouvernementale et le pouvoir des généraux font progressivement l’objet de critiques, et le mouvement pacifiste, qui s’était effondré en 1914, trouve un nouvel écho à partir de l’année 1916. À l’arrière, alors que la hausse du coût de la vie n’est pas compensée par les augmentations de salaire, les tensions sociales gagnent le pays en 1917. Cette année est marquée par des grèves massives et revendicatives portant sur les salaires et les horaires de travail, menées par les ouvrières de la couture et des usines de guerre. Elles aboutissent à une revalorisation des salaires et à la mise en place d’un repos le samedi, sur le modèle de la « semaine anglaise ». En mai 1918, les grèves reprennent avec une tonalité plus pacifiste, même si elles sont rapidement réprimées. Ces tensions illustrent le poids d’un conflit qui s’éternise et dont l’échelle dépasse tout ce qui avait été anticipé.

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Picardie-Jules-Verne, Amiens

Classification

Médias

Correspondance de guerre, 1915 - crédits : Europeana ; CC-BY-SA 3.0

Correspondance de guerre, 1915

Ouvrières pendant la Première Guerre mondiale, 1915 - crédits : akg-images

Ouvrières pendant la Première Guerre mondiale, 1915

Emprunt national, 1917 - crédits : Bibliothèque nationale de France

Emprunt national, 1917