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RHÉTORIQUEURS GRANDS

Ambiguïté

L'œuvre des grands rhétoriqueurs apparaît ainsi animée de mouvements virtuellement contradictoires, dont l'origine s'explique, pour l'essentiel, par la situation de ces poètes. Asservis à leurs patrons, ils s'efforcent de rompre, de l'intérieur, et de manière quasi clandestine, ce lien. Mais comment le faire, sinon par la manipulation du langage, seule matière qui leur appartînt vraiment ? D'où les raffinements de la versification, la complexité des jeux de sons et de mots, la recherche de l'image rare, qui font triompher dans leurs poèmes l'équivoque, la pluralité des significations, mêlent à l'exposé d'un thème sa parodie en contrepoint.

D'où parfois, pour nous, des difficultés de lecture, mais aussi l'impression de découvrir chez les grands rhétoriqueurs les lointains précurseurs des tentatives plus récentes de déconstruction du langage. Pourtant, ils ne se sont jamais donnés eux-mêmes comme des révoltés, ils n'ont jamais donné leur poésie comme une dénégation. Ils diffèrent par là de Villon, contemporain de Meschinot et de Molinet, dont bien d'autres traits les rapprochent. Sous le couvert d'un conformisme affiché les rhétoriqueurs opèrent néanmoins une rupture de fait avec les raisons de ce conformisme. Aux alentours de 1500, c'étaient eux qui portaient les couleurs de la « modernité », trahissant, sous les formules d'humilité à quoi les invitait le protocole, la contradiction qu'ils ressentaient entre la haute idée qu'ils se faisaient de leur fonction de manœuvriers du verbe et l'étroitesse du clavier thématique imposé par la cour. Ce que tentèrent les grands rhétoriqueurs, c'est un effort (plus ou moins intentionnel) pour repersonnaliser le rapport de l'écrivain à son écriture : effort de valorisation de l'individu qui se rattache au vaste mouvement de l'humanisme.

Le xve siècle finissant fut l'âge de la fête (populaire, d'église, de cour) ; mais la fête comporte deux aspects : ou bien elle prend la forme du carnaval, bouleversement fictif de ces apparences, cérémonial inversé, libérateur. C'est dans ce contexte que s'inscrit l'œuvre des grands rhétoriqueurs. Elle est une partie de la fête de l'ordre, dont elle porte la parole ; mais, par le moyen des ambiguïtés qu'elle ne cesse de véhiculer, elle est aussi carnaval, introduisant dans le discours de l'ordre des jeux qui, sans provocation bruyante, en dissocient les éléments.

— Paul ZUMTHOR

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Écrit par

  • : ancien professeur aux universités d'Amsterdam, de Paris-VII, de Montréal

Classification

Autres références

  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIe s.

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    Les grands rhétoriqueurs sont à la cour de Bourgogne – Jean Molinet et son parent, sans doute son neveu, Jean Lemaire de Belges – et à la cour des rois de France – Jean Meschinot, Guillaume Crétin et Jean Marot, le père de Clément. Se rattachent encore à ce qui est moins une « école » qu’une tendance...
  • MAROT CLÉMENT (1496-1544)

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    Formé à l'école des grands rhétoriqueurs, il sut vite s'affranchir de leurs règles, même s'il garda toute sa vie certaines de leurs habitudes, et d'abord une réelle admiration pour le Moyen Âge : il édita le Roman de la Rose et les poésies de Villon.
  • RONSARD PIERRE DE (1524-1585)

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    ...systèmes de rapport autres que ceux de la syntaxe et de la prosodie. À l'intérieur des structures formelles héritées de Pétrarque, des Anciens ou des rhétoriqueurs, les relais visuels, phonétiques et rythmiques se propagent en ondes concentriques et créent des structures parallèles qui donnent au langage...