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GRANGER GILLES GASTON (1920-2016)

L’épistémologie comparative

C’est en ce sens que la philosophie de Granger est bien une « philosophie de professeur » dont il n’aurait pas renié la définition laborieuse. Il aimait évoquer le mot de Kant à propos du « ton grand seigneur adopté naguère en philosophie », qu’il devait placer en exergue du livre publié peu après son arrivée au Collège de France (Pour la connaissance philosophique, 1988), dans lequel sa méthode d’épistémologie comparative et son concept de « style » viennent s’appliquer à la philosophie elle-même, saisie en creux d’un « exercice d’épistémologie négative ». D’abord visé par une philosophie de l’activité scientifique comprise comme construction et application des structures à l’activité humaine, dès les thèses, où se trouve déjà présenté le programme d’une « épistémologie comparative » entre sciences exactes et sciences humaines, le concept en est plus précisément approché comme celui d’une dialectique entre Pensée formelle et sciences de l’homme (1960). Il est enfin défini dans les termes d’une stylistique ou « ergologie transcendantale » générale dans l’Essai d’une philosophie du style (1968). Ce qui impliquait, et là était sa plus forte originalité, une application du concept de style et de pratique, horizon de l’opposition des formes aux contenus, à la pensée formelle mathématique ou logique, prise en elle-même, hors de toute considération d’application des structures à l’empirie ou à l’action.

Ces grands ouvrages transposaient ainsi l’esthétique transcendantale de Kant du domaine de la perception à celui de l’activité au travail qu’explorent les sciences humaines, en alliant l'inspiration kantienne d’une « statique des structures » à celle, aristotélicienne, d’une « dynamique des structures ». Ainsi se trouvait, selon Granger, exploré un paradoxe dual de celui de l’universel sans concept qu’examine la critique kantienne de la faculté de juger esthétique. La première philosophie du style sera retravaillée dans une série de textes d’abord publiés en français et en anglais dans les années 1980 et rassemblés dans le recueil intitulé Formes, opérations, objets. On peut y lire cette fois comme une transposition de la logique transcendantale formulée par Kant, selon une échelle souple des degrés d’opposition des formes aux contenus, définie grâce aux concepts de « dualité » des objets et des opérations. L’auteur en avait montré la fécondité pour l’interprétation des philosophies de la logique, le Wittgenstein du Tractatus logico-philosophicus et le Carnap de La Construction logique du monde.

Cette philosophie laborieuse n'était donc pas une philosophie de spécialiste ou d'initié. L'auteur ouvrait le texte adressé à ses futurs collègues du Collège de France par l'aveu de la double fascination qu’exercèrent dès ses années d'étudiant en philosophie « deux objets de pensée [...] l'œuvre extraordinairement complète et articulée d'Aristote, l'univers merveilleusement foisonnant des mathématiques ». Il déclarait n'avoir « jamais cessé depuis d'essayer d'approcher l'une et l'autre et de [s’]en instruire, sans viser pourtant à devenir historien de la philosophie, non plus que philosophe des mathématiques ». Son magistral ouvrage sur Aristote (La Théorie aristotélicienne de la science, 1976)anime en vérité l'ensemble de son œuvre. L'épistémologie comparative, aussi réservée certes envers l'idée de logique spéculative qu'insatisfaite par l'épistémologie positiviste, n'offre-t-elle pas, et jusque dans l'épistémologie négative des derniers livres, une sorte de pendant contemporain, dont on trouve peu d'exemples au xxe siècle, de la philosophie comme interrogation des significations multiples[...]

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Écrit par

  • : professeure émérite des Universités, université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand

Classification

Autres références

  • MODALITÉS, logique

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    • 7 573 mots
    • 1 média
    ...première, tantôt la seconde interprétation, qui lui ont été respectivement attribuées par les commentateurs. Une autre possibilité, suggérée par Granger (1976), serait qu'Aristote traite les modalités non pas comme des opérateurs, mais comme des prédicats métalinguistiques portant sur ce qui peut...
  • STYLE

    • Écrit par
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    C'est à partir de là que l'on peut étendre la notion de style à tous les arts, comme l'a tenté Gilles Granger. Cette notion s'explicite alors dans les termes de code et de message qu'a imposés le structuralisme. Le message, c'est à la fois l'œuvre et ce qui est signifié par elle : le sens, ou plutôt,...