GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) Fonctions de l'image
Les dieux et les morts
À la diversité du vocabulaire correspond la variété des objets figuratifs en rapport avec le divin. Parmi les représentations divines, il faut distinguer la statue de culte des autres offrandes consacrées aux dieux. La statue cultuelle est le plus souvent abritée en un temple ; le terme hedos, temple, siège ou demeure, s'applique parfois à la statue elle-même, les deux réalités étant confondues. Ce qui compte, plus que la représentation proprement dite, c'est la nécessité de situer en un lieu précis, rituellement déterminé, un point de contact entre les fidèles et le dieu. Let sacrifices et les prières ont lieu à l'autel, devant le temple. Dans la demeure du dieu, la statue cultuelle a pour fonction de rendre le divin présent aux yeux des hommes, de le donner à voir, sous des formes qui peuvent varier. Alors que la vue directe des dieux est insoutenable, comme l'attestent bien des récits mythiques, leur figuration sert de médiation et de support à la relation entre hommes et dieux. Elle constitue un signe qui manifeste la puissance divine. Elle n'est pas le dieu, mais elle est souvent divine, soit par son origine – objet envoyé par les dieux, pierre aux pouvoirs particuliers ou pièce de bois tombée du ciel –, soit par ses qualités plastiques – l'art de Phidias est parfois qualifié de divin.
À toutes les époques on rencontre des objets cultuels qui ne sont pas nécessairement des statues anthropomorphes. Leur fonction iconique peut être purement symbolique, exprimant sous des formes plastiques variées – poteau, pierre, masque – divers aspects du divin. Ainsi Dionysos prend-il l'apparence d'un masque qui ne cache rien mais au contraire révèle sa divinité aux yeux des mortels. Hermès, on l'a vu, se démultiplie fréquemment sous l'aspect de piliers quadrangulaires balisant l'espace dont il a la maîtrise. Non plus installé dans un temple mais disséminé aux carrefours, aux entrées et passages, réparti le long des routes. Les statues d'Hermès, le dieu qui passe, scandent géométriquement les parcours humains.
À la limite ces figures divines peuvent être quasi amorphes et anonymes, comme dans le cas, très énigmatique, des « divinités inconnues » trouvées au sanctuaire de Déméter et Coré à Agrigente. Ce sont des tubes de terre cuite, pourvus d'oreilles et d'une chevelure, mais sans visage ; fichés en terre, ils sont utilisés pour verser des libations aux puissances souterraines ; ainsi la représentation qui permet un certain rapport visuel avec les divinités sert aussi très concrètement de vecteur aux offrandes.
La statue cultuelle, en tant qu'objet symbolique, donne souvent lieu à un traitement rituel particulier : on l'habille, on la transporte en procession, on la baigne ; parfois on l'enchaîne ou on la cache pour ne la montrer qu'en de rares occasions. La puissance du dieu, dont il faut s'assurer le contrôle, s'exprime ainsi à travers ces rituels qui font de la statue bien plus qu'une simple représentation.
Cependant, d'une manière générale, la statue divine, cultuelle ou votive, est anthropomorphe. Non pas que l'histoire de la statuaire ait évolué, comme on le pensait jadis, des objets les plus informes vers les représentations les plus « ressemblantes », mais parce que la forme humaine semble s'être imposée aux Grecs pour manifester la présence des dieux. Dans les poèmes homériques, c'est sous l'aspect humain que les dieux se montrent aux hommes, sans toujours se faire reconnaître. Leur vue serait, autrement, insoutenable. Mais ce corps des dieux, comme l'a montré J.-P. Vernant, est en quelque sorte un surcorps, d'une beauté inaltérable, qui ne connaît ni vieillesse ni fatigue, un corps éclatant de vigueur et de jeunesse. D'une certaine façon, le corps divin constitue le modèle de ce qui en l'homme n'existe que[...]
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Écrit par
- François LISSARRAGUE : chargé de recherche au C.N.R.S.
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