GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) Fonctions de l'image
Images et cités
La dimension religieuse est omniprésente dans la culture antique ; toutefois, certains usages de l'image sont moins exclusivement liés aux pratiques religieuses que ceux que l'on vient d'évoquer. Ainsi en est-il de la glyptique – les pierres gravées, souvent montées en bagues, portent un sujet de dimensions réduites et fonctionnent comme des sceaux destinés à imprimer la marque de leur propriétaire – plus que des images, ce sont des signes. De même les boucliers des guerriers portent des emblèmes qui ont pour objet soit de terrifier l'adversaire, comme dans le cas de la Gorgone, soit de qualifier le porteur du bouclier. Eschyle, dans Les Sept contre Thèbes, décrit longuement les boucliers des héros, et l'on a pu montrer le rôle de cette description dans le déroulement du texte tragique ; elle n'en reste pas moins un riche témoignage des effets de sens que peuvent produire de telles images.
Dans les deux cas, pierre gravée ou bouclier, il s'agit par un signe spécifique d'individualiser un personnage aux yeux de la communauté. Il existe un système de signes analogue qui désigne la communauté entière et prend pour destinataire l'ensemble des autres cités : ce sont les marques monétaires. La monnaie apparaît en Grèce au milieu du viie siècle avant J.-C. et dès l'origine fait l'objet d'un marquage, d'abord par de simples poinçons, puis très tôt par des emblèmes – animaux, végétaux, figures anthropomorphes – qui ont pour fonction d'identifier la cité. Le rapport entre signe et identité est ici analogue à celui qu'établissent les épisèmes des boucliers, mais il s'applique à la cité entière, souvent sous le contrôle des dieux. Ainsi frappe-t-on des monnaies où figurent soit la divinité poliade – Athéna à Athènes, par exemple –, soit le héros fondateur – ainsi Taras à Tarente. Un tétradrachme de Sélinonte montre une personnification du fleuve local tenant un rameau, faisant une libation sur l'autel des dieux ; derrière lui, sur une base, la statue d'un taureau qui rappelle le sacrifice offert aux dieux ; au-dessus, dans le champ, une feuille de persil dont le nom grec, selinon, évoque en un jeu de mot visuel celui de la cité émettrice, Sélinonte. On voit la richesse et la complexité d'un tel système de représentation ; la surface minuscule de la pièce d'argent parvient à évoquer les rites en l'honneur des dieux, le sanctuaire qui leur est consacré, le fleuve local qui les honore et le nom même de la cité.
L'histoire de ce qu'il faudrait appeler l'usage civique des images nous échappe largement ; mais quelques œuvres, par leur célébrité, indiquent l'importance de cet aspect. En 514 avant J.-C., Hipparque, membre de la famille du tyran Hippias, est assassiné par deux citoyens d'Athènes, Harmodios et Aristogiton. Il s'agit probablement d'un simple règlement de comptes entre rivaux, mais après 510 et l'expulsion des tyrans, l'événement prend aux yeux de la démocratie valeur d'acte symbolique. Un groupe statuaire en bronze est érigé sur l'Agora d' Athènes, la place publique, centre politique de la cité. Le choix du lieu est révélateur ; la statue n'est pas consacrée sur l'Acropole où se tiennent les dieux, elle est placée sous les yeux des citoyens, près du portique de Zeus Libérateur, dans un sanctuaire public et essentiellement politique. L'image de ceux qu'on appellera les tyrannoctones constitue une figure exemplaire pour la démocratie nouvellement rétablie. Lorsque les Perses ravagent Athènes en 480, ils s'emparent de ce groupe ; la cité le remplace aussitôt, dès 477, par une nouvelle sculpture. La manipulation symbolique par laquelle Athènes se construit une mémoire historique passe, au-delà du discours, par une pratique[...]
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Écrit par
- François LISSARRAGUE : chargé de recherche au C.N.R.S.
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