GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) Fonctions de l'image
Les vases : des funérailles au banquet
De la production figurée des anciens Grecs, nous sommes loin de tout connaître ; les peintures restent peu nombreuses, mais aussi quantité d'objets de bois, d'osier, de tissus, toile de Pénélope à jamais défaite pour nous. Le hasard des fouilles, la conservation des objets dans les tombes nous ont cependant transmis un nombre considérable de vases peints, ornés de figures variées qui constituent un riche répertoire iconographique. Produits pour l'essentiel à Athènes aux vie et ve siècles avant J.-C., ils constituent une classe à part dans l'ensemble des images grecques ; créations modestes, dues à des artisans qui ne signent pas souvent leurs œuvres, ils circulent dans un espace privé, objets courants de la vie domestique.
L'usage de ces vases permet souvent d'en comprendre le décor. Certains ont une fonction strictement rituelle. On les utilise pour transporter l'eau lustrale nécessaire aux cérémonies du mariage ou des funérailles, et leur décor présente souvent ces moments rituels, ou leur transposition mythologique. Si l'on veut saisir pleinement la fonction des premières images peintes sur vase, au viiie siècle avant J.-C., il ne faut pas les dissocier du support sur lequel elles figurent. Les grands vases géométriques, premiers témoins d'une nouvelle tradition figurative, sont en effet placés sur la tombe des défunts et jouent le rôle d'un marqueur, d'un sêma, qui localise l'emplacement de la sépulture. De ce point de vue le vase est l'équivalent ou le complément de la stèle. Le décor géométrique dont il est orné a très souvent pour thème le rituel funéraire : exposition du mort entouré de pleureuses ou convoi funèbre. L'image s'intéresse donc dès l'origine à la mise en scène du traitement rituel du corps du défunt et vient s'insérer dans le dispositif de commémoration du mort. À la différence de la statue, ce n'est pas le mort en lui-même qui est mis en avant mais le rapport entre vivants et morts, dans le rituel. À l'époque classique, d'autres types d'images se développent dans ce contexte. D'une part des plaques peintes (pinakes) représentant le rituel funéraire ; ce ne sont plus des vases mais des panneaux plats en terre cuite ; l'image acquiert une sorte d'autonomie par rapport au vase dont elle se détache, se rapprochant de ce qui est pour nous un tableau ; on la fixe, en tant qu'image, sur la tombe. Parallèlement, toute une série de petits vases à parfums, des lécythes, sont déposés comme offrande, sur la sépulture ; or ils sont très fréquemment décorés de thèmes funéraires, soit les préparatifs d'une visite à la tombe, soit la visite elle-même, et le dépôt des offrandes au pied de la stèle. L'image représente le rituel commémoratif ; non pas l'ensevelissement, mais le moment où les vivants viennent entretenir le mort. Souvent ces images représentent le défunt à côté de sa propre stèle, et les vivants qui le côtoient ; les archéologues ont parfois beaucoup de mal à distinguer les vivants du mort. C'est que précisément l'image ne cherche pas à les distinguer, mais bien au contraire à les mettre en scène sur le même plan, comme pour abolir la distance qui les sépare. L'image, par son pouvoir d'illusion, met en présence ceux qui sont irrémédiablement désunis. L'importance de l'image dans les pratiques funéraires et la place des vases aux origines de la figuration ne surprennent donc pas ; l'image est à la fois un moyen de rendre présent l'absent, de conjoindre deux plans distincts de la réalité, le monde des vivants et celui des morts, afin de perpétuer en les représentant les rituels qui organisent les rapports entre ces deux mondes. Par ce dernier aspect, l'imagerie des lécythes prend un caractère réflexif très marqué ; le vase met en scène son propre usage.[...]
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Écrit par
- François LISSARRAGUE : chargé de recherche au C.N.R.S.
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