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GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) L'homme grec

Le plus grand mal n'est pas la mort

Le dernier principe est une conséquence du deuxième. Si ce qu'il y a de pire ici-bas est de dégrader son âme, il peut se trouver des circonstances où nous aurons à choisir entre cette dégradation et la mort. La Grèce, ici encore, nous a donné deux exemples admirables, l'un dans la personne de Socrate, l'autre dans le personnage d'Antigone chez Sophocle.

Le mal, c'est de cesser de « philosopher »

Du plus profond de son âme, Socrate croit avoir reçu une mission du dieu de Delphes, Apollon. Il n'y a aucune raison de douter de ce fait. Au vrai, on se rend la personne de Socrate tout à fait inintelligible, sa façon de vivre et les circonstances de sa mort, si l'on refuse d'admettre qu'il ait cru à sa mission. Cette mission est, comme il dit, d'« agir en ami de la sagesse » (ϕιλοσοϕε̃ιν), c'est-à-dire non pas seulement de vivre lui-même en sage, mais d'examiner les autres pour les conduire à une vie de sagesse. Nous savons maintenant, par les discussions de Socrate avec Alcibiade, avec Polos, avec Calliclès, ce qu'il entend par là. Vivre en sage, c'est vivre selon l'homme essentiel, selon l'âme raisonnable et spirituelle. Or, dans l'Apologie de Socrate telle que la reproduit ou l'imagine Platon (29-30), il est supposé un moment que l'accusateur, Anytos, propose à Socrate de l'acquitter à la condition qu'il cesse de ϕιλοσοϕε̃ιν. Si Socrate refuse, il mourra. Écoutons la réponse de Socrate. « Athéniens, je vous sais gré et je vous aime ; mais j'obéirai au dieu [le dieu de Delphes] plutôt qu'à vous ; et, tant que j'aurai un souffle de vie, tant que j'en serai capable, soyez sûrs que je ne cesserai pas de « philosopher », de vous exhorter, de faire la leçon à qui de vous je rencontrerai. » Socrate alors donne un exemple de ces discussions, où il reproche aux jeunes de s'occuper de tout sauf de leur âme. « Voilà comment j'en agirai avec jeunes ou vieux, quel que soit celui que j'aurai rencontré, étranger ou concitoyen... Car c'est là ce que m'ordonne le dieu, entendez-le bien ; et, de mon côté, je pense que jamais rien de plus avantageux n'est échu à la cité que mon zèle à exécuter cet ordre. Ma seule affaire, c'est en effet d'aller par les rues pour vous persuader, jeunes ou vieux, de ne vous préoccuper ni de votre corps ni de votre fortune aussi passionnément que de votre âme, pour la rendre aussi bonne que possible... Athéniens, acquittez-moi ou ne m'acquittez pas ; mais tenez pour certain que je ne changerai jamais de conduite, quand je devrais mille fois m'exposer à la mort. »

Obéir plutôt aux lois non écrites

Le débat de l'Antigone de Sophocle est un débat éternel. À qui devons-nous obéir, aux lois établies par la cité, ou à ces lois « non écrites », mais gravées au fond de la conscience et dont nous sentons bien que nous ne sommes plus rien si nous acceptons de les trahir ? Il n'est pas nécessaire de rappeler le sujet même de l'Antigone. Ces paroles immortelles ont formé la conscience de l'homme d'Occident ; elles ont, au sens le plus vrai du terme, construit l'Europe. Montrons seulement que le souci des lois non écrites est une préoccupation constante dans Sophocle. L'Antigone d'abord, mais aussi l'Ajax. Quand Ménélas interdit à Teucros (frère d'Ajax) d'enterrer le malheureux héros, celui-ci lui dit (1129 ss.) : « N'insulte pas les dieux, toi qui as été sauvé grâce aux dieux. – En quoi, demande Ménélas, en quoi ferais-je ici un tort aux lois des dieux ? – En ce que tu m'empêches d'enterrer le mort », propos confirmé plus loin (1343 ss.) par Ulysse, pris pour arbitre : l'outrage à Ajax serait inique, « car ce n'est pas lui seulement, mais les lois des dieux,[...]

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Écrit par

  • : ancien membre de l'Institut, ancien directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)

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