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GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) La cité grecque

Cité et philosophie politique

Hérodote et Thucydide

Hérodote se propose de raconter les guerres médiques, pourquoi et comment elles ont eu lieu, pourquoi et comment, en dépit du déséquilibre des forces, les Grecs furent vainqueurs. Cicéron le nomme le « père de l'histoire » : il n'a pas tort. L'enquête présente les événements, les protagonistes, les paysages, les institutions ; elle met au jour des consécutions temporelles ; elle relie données politiques et données militaires ; elle prend prétexte des conversations entre gouvernants pour exposer les diverses thèses constitutionnelles. Sans doute l'explication ultime renvoie-t-elle à l'idée de Némésis ; il n'en reste pas moins que l'historien propose un thème politique qui, dès lors, est constant dans la pensée grecque : celui de l'unité, de la fédération ou de la confédération des cités, qui permettrait de vaincre une fois pour toutes le Barbare et d'ouvrir les terres d'Orient à la colonisation des Hellènes. En tout cas, Hérodote éclaire autrement la destinée des hommes : désormais ils sont aussi des citoyens-guerriers qui, en fonction de la décision collective, ont en main leur histoire et jouent effectivement leur vie ou leur liberté dans des actes empiriques.

Cette radicalité, qui met au centre de la réflexion la cité et les citoyens, Thucydide la prend pleinement en charge. L'Histoire de la guerre du Péloponnèse élève le récit historique à l'intégrale transparence : elle révèle les causes réelles de l'affrontement qui déchire l'Hellade pendant près d'un tiers de siècle et qui détruit définitivement les chances d'unification ; elle définit une méthode d'exposition qui met soigneusement en rapport problèmes de politique extérieure et problèmes de politique intérieure, qui relie constamment le conflit des forces sociales des États, leurs diplomaties et leurs stratégies militaires. De la sorte, Thucydide, réagissant devant ce qu'il estime être la première guerre authentique qu'ont connue les Grecs, définit un « lieu pur », celui du politique. Et la force qui traverse ce lieu, il la met au jour : les hommes ont toujours pour mobile la crainte, l'intérêt et le sens de l'honneur ; mais, plus profondément, ils souscrivent, individuellement ou collectivement, à un principe unique : l'impérialisme. Tous recherchent l'autarkéia : la « liberté », la non-dépendance. Au début, ils s'arment pour se prémunir contre une oppression éventuelle ; mais, bientôt, ils se rendent compte de leur puissance et comprennent que le meilleur moyen de n'être pas soumis par le voisin, c'est de le soumettre ; ils l'assujettissent ; le processus, dès lors, est inéluctable. Quand on a montré une fois sa force, on ne peut plus manquer de s'en prévaloir ; c'est le voisin du voisin qu'on envahit pour prouver au premier qu'il aurait tort de se rebeller. Ainsi se constituent les empires : un jour, toutefois, la conquête fait immanquablement basculer le conquérant, trop faible, malgré sa force, pour contenir les forces qu'il a provisoirement matées. Cela, précise Thucydide, Périclès l'avait compris, qui avait recommandé aux Athéniens de mesurer leur impérialisme, de le faire progresser lentement, de calculer, à chaque moment, chances et malchances. La leçon n'est pas retenue : la ville de Pallas, outrecuidante, échoue...

Ainsi, au ve siècle, deux grands conflits – le combat contre les Barbares et la guerre du Péloponnèse – donnent au récit historien l'occasion de s'affermir, au moment même où l'homme grec, citoyen, prend de plus en plus nettement conscience de son être comme historique et politique. Mais c'est l'évolution interne de la démocratie athénienne qui provoque, en raison des problèmes qu'elle pose, des réponses[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur de philosophie à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis
  • : directeur d'études émérite, École des hautes études en sciences sociales, Paris

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Médias

Acropole, Athènes - crédits : Saga Photo and Video/ shutterstock

Acropole, Athènes

Agora d'Athènes (reconstitution) - crédits : American School of Classical Studies at Athens

Agora d'Athènes (reconstitution)

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