GRECO (1541-1614)
Artiste polémique, Greco fut, dès son vivant, la cible de vives critiques comme l'objet des louanges de ses contemporains érudits. Les collectionneurs du xixe siècle apprécièrent son œuvre ; mais, au début du xxe siècle, des écrivains, qui pour la plupart n'étaient pas espagnols, lui forgèrent une personnalité « moderne » d'artiste tourmenté, mystique, qu'ils considéraient comme le meilleur représentant d'une Espagne éternellement spirituelle, sombre et déchirée. Une meilleure connaissance des courants artistiques de la fin du xvie siècle, une grande exposition monographique en 1982-1983 et la publication d'écrits autographes révèlent aujourd'hui un artiste philosophe, profondément marqué par Venise et son esthétique de la nature et de la lumière. De Venise à Rome, puis à Tolède, Greco sut privilégier, à travers des commandes essentiellement religieuses, le primat de la traduction de la vie, fondé sur une manière très personnelle de la forme et de la couleur.
Formation traditionnelle et moderne
D'importantes découvertes documentaires permettent d'avoir une meilleure approche de la formation crétoise de Domenikos Theotokopoulos, né en 1541 à Candie (Héraklion) en Crète, alors possession vénitienne. Son maître Gripiotis lui enseigna les deux pratiques picturales de l'île, la manière traditionnelle – « alla greca » – des icônes byzantines à fond d'or, et la nouvelle mode – « alla italiana » –, qui cherchait à incorporer quelques éléments du naturalisme et de la perspective issus de la Renaissance italienne. La Mort de la Vierge (église de la Dormition, Syros) témoigne du premier courant, le plus répandu en Crète, alors que l'Autel portatif (Galleria Estense, Modène) montre le choix déterminé du second. Ce goût explique certainement son départ pour Venise : la présence de Greco y est documentée en août 1568, et il y demeura environ deux ans. Ce séjour influença définitivement ses choix esthétiques : annoté de sa main, un exemplaire des Vite de Vasari (collection particulière, Espagne) souligne son admiration pour Titien, « le meilleur connaisseur et imitateur de la nature », alors que son œuvre reflète, dans la mise en page et le mouvement, l'influence de Tintoret. L'Annonciation (musée du Prado, Madrid) ou la première version du Christ chassant les marchands du temple (National Gallery, Washington) sont encore des peintures sur bois, de petit format, traitées en petites touches, mais l'essai de décor architectural, l'importance des gestes et le choix des coloris montrent, dans leur maladresse même, une imitation systématique des grands maîtres vénitiens.
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Écrit par
- Véronique GERARD-POWELL : maître de conférences en histoire de l'art moderne à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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