GRÉGOIRE Ier LE GRAND saint (540 env.-604)
Un classique de la vie spirituelle
Les lettres de Grégoire (au nombre de huit cent cinquante-quatre, en treize livres) sont le document le plus sûr et le plus vivant sur sa vie et son activité. Dès le début de son pontificat, il adresse à Jean de Ravenne le Liber regulae pastoralis, qui traite, en quatre livres, de la vie pastorale, de l'« art des arts » qu'est le « gouvernement des âmes », de la prédication, de la vie spirituelle du pasteur. L'ouvrage, traduit en grec dès 602, fut le livre de base de la formation du clergé au Moyen Âge et reste un classique de la vie spirituelle. À Constantinople, il avait entrepris de commenter le livre de Job pour les moines romains qu'il avait amenés avec lui ; il acheva l'ouvrage à Rome vers 595 (Moralia in Job en trente-cinq livres). Ses homélies sur l'Évangile, prêchées dès son élection au pontificat, restent « des modèles de l'éloquence pastorale et de la prédication liturgique » (P. Batiffol). En 593-594, il prononce les vingt-deux homélies sur Ezéchiel. Vers la même date encore, à la demande d'un de ses diacres, Pierre, il écrit, sous forme de Dialogues, quatre livres sur les miracles opérés par de saints personnages en Italie. Le livre II, tout entier consacré à saint Benoît, constitue la principale source que l'on ait sur celui-ci. Ces Dialogues eurent vite un très grand succès ; ils furent aussi traduits en grec et exercèrent une influence profonde sur la dévotion chrétienne au Moyen Âge.
Grégoire n'est pas un théologien original. Les controverses dogmatiques s'étant apaisées à son époque, il est surtout un représentant de la doctrine commune : il reprend l'enseignement d'Augustin sur la grâce, la prédestination, le sort des enfants morts sans baptême ; il reprend et précise la catéchèse traditionnelle sur les sacrements, la discipline pénitentielle, les bonnes œuvres, le culte des saints. A. von Harnack a voulu faire de lui le représentant d'un « augustinisme populaire », voire d'un Vulgärkatholizismus fait de pratiques, de dévotions, de superstitions. Mais le mérite et l'influence de Grégoire le Grand sont d'un autre ordre.
En matière d'exégèse, bien qu'il ne néglige pas le sens littéral de l'Écriture (littera, historia), il le dépasse pour s'élever à l'allégorie (allegoria, mysteria : l'Ancien Testament est figure du Nouveau) et il s'arrête de préférence à l'enseignement moral : l'Exposito in Job a reçu, du vivant même de son auteur, le titre significatif de Moralia in Job. C'est que, avec le sens pratique du Romain et du pasteur, Grégoire est avant tout moraliste : « ... moraliste avec sa haute conscience de pape et son expérience du spirituel [...], il a moins éclairé l'Église qu'il ne l'a édifiée » (P. Batiffol). Par une œuvre qui est plus une catéchèse biblique qu'une construction scientifique, il a tracé les lignes essentielles de la théologie morale classique.
Mais ce moine devenu pape reste un grand contemplatif et un maître de la vie spirituelle (son homélie XIV sur Ezéchiel est une théorie complète de la contemplation et de la vie contemplative). C. Butler l'a même défini, entre saint Augustin et saint Bernard, comme un des maîtres de la « mystique de l'Occident ». Enfin, on attribue à Grégoire une œuvre liturgique et musicale. Cependant, s'il est certain qu'il a rédigé des textes liturgiques, on ne saurait affirmer qu'il soit l'auteur d'un sacramentaire qui se retrouverait dans le Sacramentarium gregorianum (celui-ci remonte vraisemblablement à Grégoire II, 715-731). De même, si Grégoire s'est occupé du chant liturgique (antiphonaire), on ne peut néanmoins le considérer comme le fondateur du chant grégorien, dont les origines sont difficiles à déterminer.[...]
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Écrit par
- Pierre Thomas CAMELOT : professeur et ancien recteur des Facultés dominicaines du Saulchoir
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