CORSO GREGORY (1930-2001)
Tignasse noire en bataille au-dessus d'une bouille de gavroche, Gregory Corso fut le plus jeune membre du premier cercle de la génération beat. Il était aussi le seul à être né dans le haut lieu beat, à Greenwich Village, le 26 mars 1930, de parents tous deux italiens. Et jeunes : son père a dix-sept ans, sa mère en a seize. Après sa naissance, elle retourne en Italie. Le petit Gregory connaît l'orphelinat, puis quatre familles d'accueil. Il a onze ans quand son père se remarie et le reprend avec lui. Deux ans plus tard, il fugue. On le retrouve. Il entre en maison de correction. Nouvelle fugue. Il est mis en observation au service psychiatrique de l'hôpital Bellevue à New York.
Mi-Jean Genet, mi-Antoine Doisnel des 400 Coups, Gregory Corso est le seul (à l'exception de Neal Cassady, le héros de Sur la route de Kerouac) à avoir un vrai et séduisant passé de voyou, du moins en herbe. À dix-sept ans, il est arrêté pour vol et passe trois ans derrière les barreaux. Il se dit alors que puisqu'il y a un „enfer“, il doit bien y avoir aussi quelque part un „paradis“. Il découvre les livres, la poésie romantique anglaise, Shelley. À la fin de 1950, il a vingt ans lorsqu'il sort de prison. Il travaille comme manœuvre à New York, puis comme marin à bord d'un cargo norvégien. Dans un bar du Village, il rencontre Allen Ginsberg et entre dans le tourbillon.
Gregory Corso figure en bonne place dans l'album de photos et de souvenirs qu'est la saga beat. Dans Les Souterrains de Kerouac, il s'appelle Yuri, „jeune poète yougoslave“. C'est l'été de 1953, à Manhattan. À l'arrière de la voiture de William Gaddis („Harold Sand“), Yuri lutine Mardou, la fille noire avec qui sort Kerouac. Gregory Corso, acteur à ses heures, sera plus d'une fois la doublure de Jack Kerouac. Ainsi, dans le film Pull my Daisy, de Robert Frank (1959), qui donne naissance à la „nouvelle vague“ beat, Gregory Corso joue le rôle de Jack, qui lui demande de ne pas trop l'imiter en faisant le clown.
Clownesque est aussi la photo la plus célèbre de Gregory Corso, sinon de toute la génération beat : celle où on les voit, Allen Ginsberg et lui, tout nus, côte à côte, l'air farceur et ravi, les mains chastement croisées. Depuis 1950, Gregory écrit des poèmes. Doué et un peu tout fou, il possède une voix typiquement new-yorkaise, un peu haut perchée, avec de brusques harmoniques graves, de crooner. Des étudiants de Harvard l'aident à publier son premier recueil : The Vestal Lady on Brattle Street (1955). S'il n'est pas de la soirée historique du 5 octobre 1955, à la librairie City Lights de San Francisco, où Ginsberg psalmodie son Howl, il se fait connaître par sa rhapsodie à lui : Bomb, long poème-calligramme en forme de champignon nucléaire, cantique d'amour pour la „madone“ qui va exploser dans les hauteurs du ciel.
Ginsberg dit alors de Gregory Corso qu'il est le „plus grand poète américain“ vivant – et qu'il „crève la faim“ en Europe. Corso, en effet, est à Paris, où il vivra plusieurs années. Il habite un temps au 9 de la rue Gît-le-Cœur, dans un immeuble historique du quartier Latin, le „Beat Hôtel“, tenu par la maternelle Mme Rachou. Au printemps de 1957, retour de Tanger, Kerouac le croise par hasard à Saint-Germain-des-Prés. L'épisode est narré dans Les Anges vagabonds : „Raphael Urso“ y apparaît, flanqué d'une „ribambelle de filles“. C'est à Paris qu'est écrit le recueil The Happy Birthday of Death (1960).
Son poème le plus aimé reste sans doute Mariage : „Car enfin, quand j'aurai soixante ans, que je serai pas marié /Tout seul dans ma chambre meublée des taches de pipi dans le caleçon /Et tous les autres mariés ! Tout l'univers marié sauf moi !“ Marié, il l'a été par trois fois, et a eu cinq enfants. À l'automne[...]
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
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BEAT GENERATION
- Écrit par Pierre-Yves PÉTILLON
- 2 982 mots
- 2 médias
...Philip Lamantia (1927-2005) est né à San Francisco, il découvre le surréalisme en peinture ; Breton dira de lui qu'il est le seul surréaliste américain. Gregory Corso : né en 1930 à New York, une enfance ballottée de famille adoptive en famille adoptive, puis la prison, puis la rencontre avec Ginsberg....