MARKOPOULOS GREGORY-J. (1928-1992)
Figure singulière et charismatique de l'avant-garde cinématographique américaine d'après-guerre, Gregory Markopoulos représente un continent artistique à lui seul. Parti sur des bases identiques à celles de Maya Deren avec sa trilogie Du sang, de la volupté et de la mort (1947-1948), c'est-à-dire en s'infiltrant dans la mouvance de Cocteau et du mouvement post-surréaliste, il est un des premiers, avec Stan Brakhage, à doter le New American Cinema d'une sensibilité et d'une écriture propres. C'est un artiste romantique dans son inspiration et éminemment moderne dans son écriture. Ses œuvres sont traversées par tous les styles qui caractérisent ce cinéma : du film de transe des débuts au film à tendances structurelles en passant par le lyrisme poétique des grandes œuvres des années 1960.
Un cinéma de transe
Né le 12 mars 1928 à Toledo, dans l'Ohio, de parents grecs, Gregory Markopoulos reçoit comme cadeau, à douze ans, une caméra et tourne A Christmas Carol (1940) en s'inspirant des thèmes d'un texte de Charles Dickens. Il s'inscrit, en 1945, au département cinéma de l'université de Californie du Sud où il suit, entre autres, les cours de Josef von Sternberg. Il réalise, en 1947 et 1948, trois courts-métrages : Psyché, d'après un roman inachevé de Pierre Louÿs, Lysis et Charmides, tous deux inspirés de dialogues de Platon. Ces œuvres forment, sous le titre Du sang, de la volupté et de la mort, emprunté à Barrès, une trilogie qui place d'emblée le cinéaste au rang de maître de la nouvelle avant-garde américaine. Il aborde, comme Kenneth Anger (Fireworks, 1947), le thème tabou de l'homosexualité, et devient une figure de proue de ce que le théoricien P. Adams Sitney nomme le « cinéma de transe » : la quête d'une identité sexuelle qui se joue et se dévoile au centre d'un environnement menaçant.
Dès ses premiers films, Markopoulos se distingue de ses collègues. Il adopte une attitude de dandy solitaire et choisit comme source d'inspiration les textes de grands auteurs (Platon, Cocteau, Nathaniel Hawthorne) ou des éléments de la mythologie grecque (The Illiac Passion, 1964-1967). Il contourne les stéréotypes « cuir » et urbains de Kenneth Anger, tout comme il évite d'évoquer son quotidien de manière directe comme le font Stan Brakhage ou Jonas Mekas. Il recourt toujours aux archétypes culturels. Son profil d'esthète ne l'empêche pas de témoigner, parfois directement, mais surtout de manière codée, sur la condition des homosexuels dans presque tous ses films.
Avec Psyché, le cinéaste élabore un formalisme en avance sur celui de ses contemporains qui utilisent soit le montage des attractions hérité d'Eisenstein (montage libre d'attractions indépendantes de l’action et arbitrairement choisies comme telles, mais demeurant toutefois dans la continuité de l’action), soit la métaphore visuelle dans la mouvance de Cocteau. Markopoulos rompt avec cette forme d'esthétique déjà familière aux spectateurs de l'époque pour se livrer au montage récapitulatif par la sélection, dans chaque séquence, de plans particuliers qui agissent comme des éléments de séries. Il anticipe ainsi, plus de dix ans à l'avance, le cinéma structurel qui fera des paramètres cinématographiques (le photogramme, la boucle, le travelling) les éléments de base d'une abstraction purement cinématographique.
Dans Swain (1950), inspiré de la nouvelle Fanshawede Nathaniel Hawthorne, l'auteur exorcise sa phobie de l'hétérosexualité à travers l'imagerie d'un jeune homme poursuivi par une femme mystérieuse. Ce film fait écho au tardif Himself as Herself (1967) dans lequel le héros est tenaillé par de brusques irruptions de sa féminité qui le conduisent à se travestir. Ces quêtes identitaires sont doublées[...]
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
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