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MARKOPOULOS GREGORY-J. (1928-1992)

Le recours au mythe

Plus on progresse dans la filmographie de Markopoulos, plus on voit la forme devenir indépendante du sujet ; le montage atemporel qu'il met au point donne une densité incomparable à ses films. Trois œuvres maîtresses, qui investissent le terrain de la mythologie, du portrait et du « paysage », témoignent de la maturité artistique du créateur.

Avec The Illiac Passion, le cinéaste propose sa vision de Prométhée. Le matériau de ce long-métrage est tiré de la pièce d'Eschyle Prométhée enchaîné, traduite par Henry David Thoreau. Markopoulos n'adapte jamais, au sens traditionnel du terme, les textes qui lui servent de base mais en extrait des motifs, visuels et sonores. Au personnage de Prométhée, le cinéaste ajoute ici Narcisse, Orphée, Adonis..., rôles tenus par des personnalités de l'underground de l'époque : Jack Smith, Gerard Malanga, Andy Warhol, Taylor Mead... Le texte est réorganisé comme les images : des phrases sont doublées, dites, redites et altérées. C'est à travers un langage neuf et non narratif que le réalisateur redonne vie au mythe.

Galaxie (1966) est un film d'une heure et demie composé de trente portraits d'amis et d'artistes (Allen Ginsberg, Susan Sontag, Shirley Clarke...). Si l'on note des effets de série rappelant la méthode de Warhol, l'auteur conçoit sa mosaïque comme un tout, mais hétérogène : le nombre et la nature des surimpressions, ainsi que les effets de style, varient selon les portraits. De plus, chaque individu est placé dans un environnement familier ou artistique qui lui sied. Markopoulos ne peut s'empêcher de briser le lyrisme par le recours à des formes répétitives, sans verser pour autant dans l'épure ou l'abstraction.

Tourné avec très peu de moyens en Italie, Gammelion (1968), enfin, se veut une adaptation de Au château d'Argol de Julien Gracq. C'est certainement l'œuvre la plus austère du cinéaste qui intensifie sa pratique des plans ultracourts, des fondus, du passage de plans monochromes au noir.

À la fin des années 1960, avec son ami le cinéaste Robert Beavers, Gregory Markopoulos quitte les États-Unis pour la Suisse et la Grèce. Il se retire de la vie culturelle et interdit la projection de ses films. Il tourne beaucoup en Europe, mais monte peu d'éléments. Au début des années 1980, il recommence à montrer ses films dans un espace en plein air, le site de Temenos, situé sur une colline du Péloponnèse – près du village de Lyssaraia où son père est né –, mieux adapté selon lui à la nature profonde de son travail.

Après la la mort de Markopoulos, le 12 novembre 1992, Robert Beavers fonde, en 1994, Temenos Inc, une association à but non lucratif destinée à faire revivre le projet Eniaios, une expérience cinématographique unique dans laquelle Markopoulos souhaitait utiliser les séquences de ses films (tournés entre 1947 et 1991), certains jamais montés, découpés du master original 35 millimètres et entrelacés de flashes d’images en noir et blanc et de vues de lieux sacrés. Ce « monument cinématographique » de vingt-deux cycles devant totaliser quatre-vingts heures de projection est mis en chantier, depuis 2004, par Robert Beavers avec l’aide de bénévoles, d’amateurs de cinéma expérimental et de mécènes. Tous les quatre ans, en début d’été, environ deux cents privilégiés, dont le critique P. Adams Sitney, se rendent à Temenos pour une projection unique de ce work inprogress. De 2004 à 2016, onze cycles ont été présentés.

— Raphaël BASSAN

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