GRENOBLE
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Entrer dans Grenoble, c'est entrer dans les Alpes. À 212 mètres d'altitude, sous des cimes culminant entre 2 000 et 3 000 mètres, les 504 734 habitants de l'agglomération grenobloise (2012) occupent le site réputé le plus plat de France, bien qu'exceptionnel pour ce qu'il donne à voir. Car, au bout de chaque rue, la perspective rappelle qu'ici, depuis près de deux millénaires, la ville a pour cadre et matrice la montagne. C'est pour des raisons purement géostratégiques que les Romains y ont fondé une place de contrôle du sillon alpin et des routes transalpines, close d'un premier rempart à la fin du iiie siècle. Pendant longtemps, il faudra défendre cette place des eaux de l'Isère, du Drac et de leurs torrentueux affluents, l'Arc et la Romanche.
Bourgade médiévale insignifiante avec ses 9 hectares, son unique pont, ses deux mille habitants tout au plus, sa dizaine de rues, Grenoble entre vraiment dans l'histoire en supplantant Vienne comme capitale du Dauphiné, une fois ce comté rattaché au royaume de France (1349), dont elle devient la troisième ville de Parlement. Mais il faut encore attendre la fin des guerres de Religion et la conquête de la place par le connétable Lesdiguières, lieutenant général d'Henri IV, pour que s'ouvre une première phase de croissance. La ville double sa superficie et s'enferme dans un puissant système de défense, confirmant ainsi sa vocation première. Ce second rempart, aujourd'hui disparu, marque toujours la limite des quartiers anciens. Si Grenoble s'enorgueillit d'être la ville provinciale la plus embellie sous Louis XIII, c'est manière de reconnaître la grande faiblesse de l'âge classique qui suit. Ville de garnison, face à la Savoie, aux fonctions essentiellement administratives et religieuses, elle ne compte encore que 25 000 habitants à la veille de la Révolution française qui y commence par la fronde du Parlement. Doté d'un passé modeste, pour ne pas dire médiocre, Grenoble n'est que la vingt-huitième ville de France en 1851. Elle s'engage alors dans la modernité, mutation qui se jouera en quatre actes.
Le premier, qui triomphe avec le second Empire, est celui de la ganterie, qui prend son origine pré-industrielle dans le système des marchands fabricants du xviiie siècle, et s'organise en petites manufactures avec l'arrivée du chemin de fer (1858). La ville gantière, celle qui projette Grenoble pour la première fois sur les marchés mondiaux, se développe au sud (Préfecture) et à l'ouest (cours Berriat), dans la nouvelle enceinte Haxo (1835) qui double à nouveau la superficie urbaine (44 000 habitants en 1880).
Le deuxième acte, de la Belle Époque à la Libération, est celui de la houille blanche (grâce à l'aménagement de la première haute chute hydroélectrique par le papetier Aristide Bergès en 1869 à Lancey, près de Grenoble) et de l'industrialisation lourde qu'elle entraîne. Grenoble équipe ses montagnes et devient en même temps une ville ouvrière, d'immigration surtout italienne, entrepreneuriale (Bouchayer & Viallet, Neyret & Picard, Merlin & Gerin) et technicienne. L'université renaît, tout près de l'entreprise nouvelle. Grenoble vit une haussmannisation tardive sur l'emprise libérée de la vieille enceinte, grâce au maire Édouard Rey, à la fin du xixe siècle. Au-delà de l'enceinte Haxo, la ville commence à former une agglomération avec les villages urbanisés de Fontaine, La Tronche, Saint-Martin-d'Hères. Après la Grande Guerre, il revient au socialiste Paul Mistral de commencer à affronter les problèmes posés par une croissance accélérée, en particulier face à l'armée qui étouffe toujours le site. Le plan Jaussely (1923) trace les premières grandes orientations de la croissance vers le sud, qui démarre dans les années 1940 (100 000 habitants).
Le troisième acte, qui fait littéralement exploser Grenoble, est celui de la recherche nucléaire et de l'électronique. L'implantation du Commissariat à l'énergie atomique (1956), l'action des élites universitaires et industrielles et le passage de la maîtrise industrielle de la haute tension à celle des courants faibles projettent Grenoble dans une autre époque et font d'elle la ville française à la plus forte croissance entre 1954 et 1962. L'arrivée d'une municipalité novatrice (Hubert Dubedout, 1965), les jeux Olympiques d'hiver (1968), le lancement de la Z.I.R.S.T. (Zone pour l'innovation et les réalisations scientifiques et techniques) de Meylan (1972) sont les leviers du modèle, et du mythe, grenoblois. Dès lors, l'agglomération de trente-quatre communes occupe toute la plaine et ses ramifications : le Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de 1973 consacre le « Y grenoblois » et la problématique de l'équilibre de ses branches ; la Villeneuve (quartier de l'Arlequin), quelques autres quartiers de l'expansion et le centre ancien populaire vivent des années d'expérimentation urbanistique.
Depuis les années 1980, on peut considérer que Grenoble explore un quatrième acte de la modernité. Les firmes mondiales de l'informatique (Hewlett-Packard, ST Microelectronics, Sun Systems) et les laboratoires publics, qui tissent régulièrement des accords d’alliance (Nano 2017), y maintiennent une logique technopolitaine, mais le modèle a fait des émules et la compétition est rude. Le magnifique site grenoblois est difficile à connecter à l'Europe des grandes vitesses. La saturation de la « cuvette grenobloise », où les dangers de pollution ont supplanté les risques d'inondation, implique de trouver un nouveau modèle de développement. La communauté d'agglomération de Grenoble Alpes Métropole en porte l'ambition, elle cherche à relancer la dynamique de l'innovation qui fut la sienne tout au long du xxe siècle, en se fondant sur le développement des nanotechnologies et des biotechnologies.
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Écrit par
- Martin VANIER : professeur des Universités
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