GRÈVE
La grève est un phénomène dualiste et paradoxal. Comment un phénomène de force peut-il être saisi dans les mailles du droit ? Alain eut des formules pour traduire cet impossible jeu : « Il me semble que faire grève c'est prendre le parti de forcer ?... Conclusion... que tout essai de liberté, en quelque genre que ce soit, est un essai de force et une sorte de combat... »
Or la grève est tout à la fois un phénomène de force, un moyen de pression du groupe des travailleurs qui se fait justice à soi-même, et aussi l'exercice d'un droit, droit reconnu par le Préambule constitutionnel (de 1946 et 1958), la grève ayant de surcroît été érigée au rang des « principes fondamentaux de notre temps » (par l'arrêt Dehaene du Conseil d'État, 7 juillet 1950).
D'un autre point de vue, la grève présente des aspects tout à la fois négatifs et positifs : elle est négative en tant qu'inaction volontaire, en tant que « rétention de travail », mais positive car orientée vers un avenir actif, la reprise du travail après satisfaction des revendications.
La grève est encore, tout à la fois, une liberté publique (style xixe siècle) et un droit apparenté aux droits économiques et sociaux (style xxe siècle). C'est une liberté publique, car nul ne saurait être sanctionné pour faits de grève, si du moins celle-ci n'est pas abusive ou illicite. Et c'est un droit, d'ordre économique et social, destiné à corriger les inégalités dont souffre le groupe des travailleurs ; elle sert de contrepoids au déséquilibre entre les deux « partenaires sociaux », travailleurs subordonnés et chef d'entreprise.
La grève est la dramatisation d'un dialogue. Selon Emmanuel Mounier, « le premier temps du dialogue est celui de l'opposition ». Certaines grèves n'ont d'autre objectif que de déclencher le processus de négociations collectives. D'autres entrecoupent les discussions qui s'enlisent et piétinent. Les grèves sont des « combats pour de meilleurs accords », articulant ainsi guerre et paix sociale.
Un passé riche d'enseignements
L'antagonisme social n'est en défaut à aucune des grandes époques de l'histoire. Et il n'est pas exact de lier la grève au seul capitalisme libéral qui en a seulement décuplé l'ampleur ; il faut, au contraire, la faire remonter au plus lointain passé. Une sorte de mouvement récurrent marque chacune des civilisations. À l'aube, les mouvements revendicatifs sont rares, mais ils s'amplifient aux périodes de maturation et surtout aux moments de crise.
Les civilisations anciennes
Les premières grèves furent, semble-t-il, celles des travailleurs égyptiens, à la période du Nouvel Empire. À plusieurs reprises, sous le régime de Ramsès III, les ouvriers cessèrent le travail au tombeau du pharaon : la grève était une protestation, à la fois contre l'irrégularité des salaires fournis en nature et contre les traitements indignes dont ils étaient victimes. Cette première manifestation est riche de sens. Car elle émane d'une catégorie de travailleurs particulièrement qualifiés, relativement privilégiés dans la société égyptienne. On n'aurait jamais songé en effet à remplacer par de vulgaires esclaves ces libres ouvriers destinés à construire pour le pharaon une demeure immortelle. Or ce phénomène se renouvellera par la suite, les grandes grèves étant régulièrement le fait d'une certaine élite et non pas des couches les plus démunies de la société.
Selon la Bible, la dure condition des Hébreux asservis en Égypte s'accompagne d'un mouvement d'indiscipline lorsque les conditions de travail s'aggravent jusqu'à l'intolérable (les commissaires du pharaon imposent la livraison de briques sans procurer aux travailleurs la paille nécessaire). Comme l'écrit A. Néher, « avec le décret du pharaon[...]
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Écrit par
- Hélène SINAY : professeur émérite à l'université Robert-Schuman, Strasbourg, faculté de droit
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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