GRINGOIRE, journal
Reprenant la formule du Candide de Fayard, Horace de Carbuccia fonda Gringoire en 1928. Né à Paris en 1891, d'origine corse — il fut même député d'Ajaccio en 1932 —, apparenté au romancier Marcel Prévost et au préfet de police Jean Chiappe, Carbuccia était déjà directeur de la Revue de France, lancée en 1921, et propriétaire des Éditions de France, fondées en 1924. Carbuccia fut toujours pratiquement le seul propriétaire de Gringoire et son vrai directeur, car la direction littéraire attribuée à Joseph Kessel et la direction politique confiée à Georges Suarez furent supprimées en 1932. Le succès fut rapide : dès 1929, le tirage moyen fut de 135 000 exemplaires ; il dépassait le demi-million en 1940, après avoir atteint son apogée en 1936 avec 650 000 exemplaires.
La partie littéraire de Gringoire fut assez éclectique et attira de bonnes plumes que Carbuccia payait bien. Pourtant, c'est par ses articles politiques que l'hebdomadaire attirait les lecteurs. Tous les leaders de la droite nationaliste y écrivirent, mais c'est Henri Béraud, prix Goncourt en 1922 avec Le Martyre de l'obèse, qui y joua de 1928 à la fin de 1943 le rôle de leader. Les campagnes animées par cet ancien journaliste de L'Œuvre radicale, au redoutable talent de polémiste, furent pour beaucoup dans le succès de Gringoire. André Tardieu y collabora régulièrement dès 1936 et jusqu'à la Seconde Guerre mondiale ; ses articles y furent curieusement en opposition avec la ligne pacifiste et munichoise des autres parties du journal.
En politique étrangère, cette feuille volontiers chauvine exaltait l'Italie de Mussolini et l'Espagne de Franco, n'osait pas juger l'Allemagne hitlérienne, s'opposait à l'Angleterre et haïssait l'U.R.S.S. En politique intérieure, Gringoire cultivait l'antisémitisme, l'antiparlementarisme, l'antimarxisme ; il fut un des plus dangereux ennemis du Front populaire et le principal responsable de la campagne de diffamation contre Salengro ; il accorda son soutien à tous les hommes et à toutes les idées de la droite et de l'extrême droite : c'était une sorte de pamphlet éclectique, d'une violence surprenante, qui exprimait assez bien le tempérament « râleur » d'une certaine droite française. Son succès est un indice éclatant des déchirements politiques de la nation à la veille de la guerre.
Replié en « zone libre », à Lyon, en juin 1940, Gringoire soutint à fond la politique vichyssoise, en insistant sur la nécessité d'épurer le corps politique et l'administration de ses éléments « antinationaux » et en acceptant la collaboration. Béraud y put exhaler son anglophobie, son antisémitisme et son aversion pour la démocratie, jusqu'à ce que, in extremis, il se brouille avec Carbuccia. Condamné à mort en 1944, Béraud fut gracié et envoyé au bagne. Mis en liberté conditionnelle en 1950, il mourut en 1958.
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Écrit par
- Pierre ALBERT : professeur émérite de l'université Panthéon-Assas
Classification
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