GROUPE 47
Le Groupe 47 : exigences et perspectives
Dans l'esprit de ses fondateurs fortuits, le Groupe 47 répond à une double exigence. Tout d'abord à une exigence politique. Il n'est pas exagéré de dire qu'il incarne la version allemande de l'engagement, tel qu'on l'entend en France dans les années 1945-1950, c'est-à-dire de l'engagement à gauche au sens large, puisque l'Allemagne nouvelle doit se définir à la fois contre la restauration capitaliste et le communisme stalinien. De manière plus générale, les promoteurs du Groupe 47 veulent réagir contre la tendance (si souvent déplorée) des écrivains allemands à s'enfermer dans leur tour d'ivoire, à se replier sur eux-mêmes, à se détourner de toutes les implications qu'entraînent les affaires de la cité.
La seconde exigence, plus spécifiquement littéraire, découle de la première. En effet, pour les auteurs rassemblés au sein du Groupe 47, le premier devoir d'une littérature qui ne veut pas négliger sa portée sociologique consiste à rénover au préalable ses instruments de création, c'est-à-dire le langage. De 1933 à 1945, le langage n'a pas échappé à la corruption générale. Il convient donc de l'expurger de toutes les scories du discours national-socialiste. Aussi, durant les premières sessions, règne-t-il une allergie à la rhétorique et à la redondance. Le puritanisme stylistique est de rigueur. La langue doit être épurée. Il faut, selon l'expression de Weyrauch, bannir la « langue de l'esclavage », tourner le dos à la « calligraphie ». À ses débuts, Heinrich Böll confie ses difficultés à écrire, ne serait-ce qu'une demi-page de prose. Pratiquer la « table rase » (Kahlschlag) pour reconquérir un langage, tel doit être le premier impératif. On en trouve une illustration particulièrement frappante dans le célèbre poème intitulé Inventur (« Inventaire ») de celui qui devait être le premier lauréat du Groupe 47 : Günter Eich. Durant douze ans, la langue allemande avait été un instrument de coercition tel qu'il fallait s'en libérer et revenir à une sorte d'abécédaire originel, avant de songer à proposer des formules plus élaborées. Dans ce poème, Eich se contente de nommer les objets les plus élémentaires composant l'univers quotidien d'un Allemand de retour du front, à l'heure de l'année zéro : « Voici ma casquette/Voici mon manteau/Et aussi mon rasoir/dans ce sac de toile/...C'est la mine du crayon/qui a mes préférences/Le jour, elle consigne les vers/que j'ai créés la nuit. » Ainsi s'explique que, dans une première phase, la primauté soit accordée au reportage, au récit dépouillé, à la nouvelle brève, au lyrisme essentiel, au roman documentaire, à cette « littérature de la guerre, des rapatriés et des ruines » que Böll définira rétrospectivement dans un manifeste lu en 1952.
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Écrit par
- Pierre GIRAUD : maître assistant agrégé, docteur de troisième cycle à l'université de Lille-III
Classification
Média
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