GROUPE 47
Les raisons d'une dissolution
De ses deux exigences initiales, politique et littéraire, le Groupe 47 n'a réalisé vraiment que la seconde et très largement manqué la première. En effet, il ne parvient pas – mais le pouvait-il ? – à infléchir de manière décisive l'évolution de la société ouest-allemande. Il en prend conscience assez vite. Très tôt, sur ce point, la résignation s'installe dans ses rangs. Il est vrai que le contexte de la « guerre froide » ne se prête guère à l'éclosion d'expériences politiques nouvelles. Le « miracle économique », la satisfaction croissante des besoins matériels poussent la majorité des citoyens au conformisme et rejettent vers la périphérie les écrivains ou les intellectuels critiques qui tentent de l'ébranler. Comme si souvent dans le passé, ils se retrouvent progressivement confrontés à une situation qu'ils voulaient à tout prix éviter : le divorce, l'isolement, la marginalisation. À ces prophètes sans influence sociologique, sinon sans lecteurs, qui dénoncent dans leurs œuvres les dangers insidieux d'une mise en condition américanisée, d'autant plus redoutable qu'elle est à la fois occulte et omniprésente, le groupe offre une sorte de refuge. Il est d'autant plus recherché que nombre de ces nouveaux écrivains vivent le plus souvent hors des frontières allemandes, ce qui est la reprise d'une tradition. M. L. Kaschnitz et H. Kesten s'établissent en Italie, P. Weiss en Suède, H. M. Enzensberger en Norvège. H. Böll partage un moment son existence entre l'Irlande et la R.F.A. Une telle situation ne constitue pas le meilleur tremplin pour modifier le cours des événements. Certes, le groupe veille à ne pas se laisser enfermer dans des débats exclusivement littéraires. Un consensus se dégage, au cours des sessions, pour condamner les pesanteurs du nouvel État allemand. Mais – tous les témoignages concordent sur ce point – aucun événement politique, même l'affaire du Spiegel en 1962, ne parvient à dominer la discussion. La majorité des auteurs eût jugé incongrue une telle évolution. On touche ici aux ambiguïtés et aux limites de l'engagement sans obligation ni sanction. Ces prophètes sans influence se veulent aussi des prophètes sans cause, à quelques exceptions près. La plupart sont attentifs aux seuls impératifs de leur conscience. D'un côté, ils se veulent responsables. De l'autre, instruits par l'expérience historique ils se méfient des pièges du langage et de l'idéologie, refusant de devenir des partisans, pour se vouloir simplement des hommes soucieux de ne pas aliéner leur liberté de pensée. Il y a là un équilibre difficile à tenir sur un parcours semé d'embûches. Tôt ou tard, un tel itinéraire ne peut déboucher que sur une impasse.
Ce danger menace d'autant plus qu'au fil des ans le groupe est devenu une sorte d'institution, voire de festival célébré par les grands moyens d'information. Il fait partie de ce qu'on appelle bientôt, avec mépris, l'establishment culturel et n'échappe pas à la contestation générale que traversent, vers le milieu des années soixante, les institutions des grands pays occidentaux. Notons toutefois que ce malaise jaillit d'abord de ses propres rangs. Bien des thèmes critiques qui vont devenir monnaie courante sont déjà présents dans telle nouvelle de Böll ou tel poème de Peter Rühmkorf. La préparation de la session de 1966 à l'université de Princeton est mouvementée. L'invitation, qui coïncide avec l'aggravation du conflit vietnamien, choque plusieurs écrivains, qui, dans des déclarations remarquées, refusent de faire le voyage. Lors de la séance publique, un jeune écrivain autrichien encore peu connu, Peter Handke, refuse le rôle de victime. Il se fait procureur,[...]
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Écrit par
- Pierre GIRAUD : maître assistant agrégé, docteur de troisième cycle à l'université de Lille-III
Classification
Média
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