GRUAU comte ZAVAGLI RICCIARDELLI DELLE CAMINATE dit RENÉ (1909-2004)
L'œuvre unique et féconde de Gruau offre une image saisissante des partis pris esthétiques d'une société éprise de luxe et de distinction. Illustrateur de mode et dessinateur de publicité, il a donné à son talent une expression libre et dégagée des conventions.
Après une enfance choyée, passée dans l'Italie des villégiatures (Rimini, sa ville natale, et Venise) et dans les villes de séjour de la haute société (Monte-Carlo), Gruau, contraint à quatorze ans de gagner sa vie, publie ses premiers dessins de mode. Renonçant à sa vocation première d'architecte, il se consacre totalement à l'activité d'illustrateur et choisit, pour signer, le nom de sa mère : Gruau. Encore fidèles aux conventions stylistiques de l'époque, ses dessins offrent une vision objective et nette des modèles, dont la description est très soignée.
Gruau obtient des commandes de revues allemandes, anglaises et italiennes, comme le grand magazine Lidel, pour lequel il travaille très régulièrement dans les années trente.
C'est pourtant à Paris qu'il s'établit avec sa mère en 1928. Très vite sollicité par de nombreuses revues, il dessine les modèles en vogue pour Marianne et pour Le Figaro. Son talent personnel commence à s'exprimer dans ces illustrations de femmes sveltes, nonchalantes, qui portent avec aisance les robes des grands couturiers : Chanel, Schiaparelli, Patou... C'est pour Fémina qu'il donne ses séries les plus importantes : les silhouettes de Gruau, souvent reproduites en bichromie, témoignent de son adaptation au goût du jour, à l'époque où les illustrateurs de Vogue, la revue concurrente de Fémina, s'appellent Eric, Bouët-Willaumez. Il donne pour des magazines de luxe des dessins stylisés, et empreints d'humour, de chapeaux insolites : sa virtuosité lui permet des accentuations graphiques séduisantes et des mises en pages très concertées, qui exaltent ces « bibis » comme des chefs-d'œuvre fragiles, instables, éphémères. Excellent interprète de l'air du temps, Gruau rencontre, après les succès, de graves difficultés dues à la guerre : en ces temps de pénurie, couturiers et magazines de mode cessent pour la plupart leur activité. Mais il continue d'illustrer le magazine Marie-Claire, alors replié à Lyon ; il contribue également au Figaro, par l'envoi d'une page hebdomadaire. Et son travail le conduit à séjourner à Cannes, refuge des grands couturiers, d'une partie de la société mondaine et des traditions de luxe et de confort.
À la fin de la guerre, Paris retrouve son prestige de capitale de la mode. Gruau est l'illustrateur tout indiqué des créations féminines et voluptueuses de Dior, de Fath, de Balmain ; mais son couturier préféré reste Balenciaga, qui a défini une ligne robuste, architecturée, qui répond à ses exigences esthétiques. Le graphisme de Gruau acquiert sa maturité, et les dessins de cette époque offrent un panorama séduisant des attitudes et comportements des élégantes, à la silhouette remodelée par les robes « new-look » qui arrondissent les épaules, étranglent la taille et gonflent les hanches. Le trait de Gruau se fait autoritaire, hardi, et pourtant souple et elliptique. C'est dans le dessin des capes flottantes et des paletots trapézoïdaux ou tubulaires que Gruau parvient d'un seul trait à une synthèse des formes admirablement stylisées et magnifiées par des franches oppositions de couleurs, où le rouge, le blanc et le noir sont favoris. Certaines audaces graphiques rappellent Toulouse-Lautrec et l'art des affichistes. Le genre de ses compositions influence désormais l'illustration de mode dont il est, à Paris, le maître incontesté.
C'est à travers son œuvre publicitaire, où s'exprime son goût des formules esthétiques claires et frappantes, que Gruau acquiert sa plus grande notoriété.[...]
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Écrit par
- Guillaume GARNIER : conservateur du musée de la Mode et du Costume, palais Galliera
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