GRYPHIUS ANDREAS GREIF dit (1616-1664)
Tributaire de la littérature latine du Moyen Âge, Andreas Gryphius prend pour devise Manet unica virtus (Seule est durable la vertu). Une autre formule latine résume la thématique de son œuvre : Vanitas mundi. On le voit, Gryphius est enfant de son siècle, sans toutefois se confiner au seul baroque.
C'est à Glogau, en Silésie, qu'il naît. Orphelin de bonne heure, les bouleversements de la guerre de Trente Ans l'obligent à parcourir l'Allemagne orientale, fuyant une ville pour l'autre. Après avoir terminé ses études, il entre comme précepteur chez son bienfaiteur, le comte palatin Georg de Schönborn, dont il accompagne les enfants en Hollande. Pendant son séjour à Leyde, Gryphius enseigne autant qu'il apprend : les œuvres de Hooft et de Vondel, auteurs dramatiques hollandais, exerceront sur lui une grande influence. C'est à Leyde qu'il écrit ses Sonnets pour dimanches et jours fériés (Sonn- und Feiertagssonette, 1639). Les voyages d'études qu'il effectue ensuite à travers la France et l'Italie accélèrent sa formation : il rencontre Corneille à Paris et on relève des traces de la commedia dell'arte dans son œuvre. Mais il ne se borne pas au seul rôle d'auditeur : en 1646, un poème épique sur la Passion, Olivetum, est dédié à la République de Venise. Il se marie à son retour au pays et, de 1649 à sa mort, remplira la charge de syndic des états provinciaux.
À l'âge de dix-huit ans, il avait déjà composé un poème latin sur le massacre des Innocents et, simultanément, ses premiers sonnets en allemand, qui paraissent en 1635 sous le titre : Le Parnasse renouvelé (Der erneute Parnassus). Aux Sonnets pour dimanches et jours fériés fait suite un autre recueil de poèmes, Pensées dans un cimetière (Kirchlofsgedanken, 1656). Sur un plan formel, son œuvre poétique est fortement imprégnée de l'ordo latin : c'est avec noblesse qu'on traite de nobles sujets. Aussi ses injonctions sont-elles solennelles et rigoureux ses appariements. Le poète parvient cependant à briser par instants l'objectivité un peu froide de ses écrits — aboutissement inévitable d'une construction exclusivement logique — en alternant la cadence de ses vers, une particularité dont il fait grand usage.
En effet, à l'intérieur de toutes ces formes fixes, Gryphius ordonne un matériel neuf. Ses lamentations sur l'inconstance sonnent juste : elles portent la trace d'une expérience personnelle et sont une nouveauté. Il en est de même pour le montage de son sonnet Les Larmes de la patrie (Die Tränen des Vaterlandes, 1636) : chaque image est apocalyptique ; elle contribue à la description d'un monde en guerre dont le poète sait qu'il fait aussi partie. Mais, avant tout, il s'afflige des pertes subies par le « trésor de l'âme », de l'athéisme de son temps. En choisissant d'évoquer des thèmes philosophiques dans ce sonnet comme dans d'autres, Gryphius fait donc œuvre de pionnier. Car ce terrain était jusque-là réservé aux cantiques et aux poèmes en latin d'église.
À l'estime pour l'auteur des sonnets s'adjoint celle qu'on peut porter au dramaturge. Après deux pièces consacrées à des martyrs, Gryphius publie en 1657 une tragédie écrite en 1649, Charles Stuart, ou le Souverain assassiné (Ermordete Majestät, oder Carolus Stuardus). Elle éveille l'intérêt, ne serait-ce que parce qu'elle traite d'un proche événement historique. Mais c'est avec Cardenio et Célinde, qu'il publie la même année, que Gryphius fait un pas décisif : à l'inverse des règles classiques qui voulaient qu'on tînt pour seuls héros des princes, Gryphius situe les siens dans la bourgeoisie, ouvrant ainsi la voie à ce qui, un jour, sera le drame bourgeois.
C'est pourtant comme auteur comique que Gryphius[...]
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Écrit par
- Lore de CHAMBURE : professeur à l'École allemande de Paris
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