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GUERRE ET PAIX (mise en scène P. Fomenko)

La troupe de Piotr Fomenko est venue en France pour la troisième fois en 2002. À la suite de Loups et brebis d'Ostrovski (festival d'Avignon, 1997), réinvité en 1998 par le festival d'Automne avec La Noce de Tchekhov, c'est en première européenne que le théâtre des Gémeaux a accueilli Guerre et Paix, cette fois à l'occasion du festival d'Automne 2002. La salle s'enchante, transportée pendant quatre heures par le courant émotif suscité par les fomenki et leur jeu, miraculeuse alchimie entre une sensibilité et une culture profondes, une grande complicité et une virtuosité tant corporelle que musicale.

Figure majeure du théâtre russe, Fomenko a connu un parcours difficile, censuré pendant la période soviétique, entravé par des problèmes de lieu et d'argent après la chute du Mur de Berlin. Dès 1983, il s'est consacré à la pédagogie au G.I.T.I.S. (Institut supérieur de théâtre). L'école offrait une relative liberté, et son art n'admettait pas la compromission. Depuis 1993, sa renommée, jusque-là plus discrète, n'a fait que croître : il a su s'entourer de jeunes acteurs qu'il a formés. Sortis de son cours en 1993, ils ne se sont pas dispersés mais sont devenus l'Atelier Piotr Fomenko, où les ont rejoints de nouvelles recrues formées comme eux.

Guerre et Paix est ici un matériau privilégié qui permet aux comédiens d'élever leur « culture professionnelle », et au metteur en scène d'ouvrir de vastes espaces imaginaires. Le compagnonnage avec le roman de Tolstoï a été précédé par d'autres travaux sur la prose dont Le Bonheur conjugal (2000) qui, conçu à partir d'une de ses nouvelles, esquisse Guerre et Paix, répété parallèlement.

Créé en février 2001, le spectacle résulte d'un processus complexe qui dura sept ans. En 1994, sans lieu pour matérialiser son projet, la troupe lit pendant quatre mois les quatre tomes de l'épopée tolstoïenne. Tandis que s'écrit la transcription théâtrale de la totalité du roman, Fomenko a déjà compris que le travail scénique ne concernerait que les premiers chapitres, et que ces scènes de 1805 recèleraient toutes les tragédies en gestation. Il ne s'agit donc pas d'adapter, en opérant des coupes obligées dans la matière du roman, mais d'en donner un concentré. À l'automne de 2000, de sporadiques, les répétitions deviennent intensives.

Laissant les champs de bataille au cinéma, Fomenko s'intéresse, avec ses assistants pour l'écriture de la partition scénique, aux scènes de famille. La guerre infiltre pourtant toute la composition théâtrale : une carte de l'Europe en 1805 devient un rideau à la grecque, tandis que les portraits inachevés du tsar et de Napoléon, côté cour et côté jardin, seront sans cesse interpellés. L'épique est évoqué par des ombres sur la carte-rideau, ou bien infiltre l'intime en se glissant dans l'infiniment petit : un sabre offert, les notes d'une marche napoléonienne... Avant de s'abîmer en une saynète tragique doucement esquissée sur les thèmes d'un des leitmotive du spectacle, la petite chanson française Malbrough s'en va-t-en guerre.

Fomenko construit Guerre et Paix en trois mouvements, chacun étant divisé en séquences qu'on peut identifier par leur tempo (allegro, pianissimo...). Attentif à la « partition des atmosphères », à la fluidité des transitions, il sature la scène de musique, même lorsqu'il ne convoque pas directement des enregistrements de Beethoven, Mozart, ne fait pas jouer au piano des airs italiens, une étude de Field, ou retentir accords de guitare et chants russes.

Polyphonique, le jeu se développe sur un dispositif dicté par la configuration du petit théâtre moscovite où le spectacle fut créé : trois colonnes entre lesquelles sont arrimées deux plates-formes[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du Laboratoire de recherche sur les arts du spectacle

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