GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) La santé aux armées
La Grande Guerre inaugure l’ère des conflits où la question sanitaire joue un rôle de première importance : la santé des troupes devient un enjeu de portée militaire, médicale et politique.
Sur le plan militaire, la guerre de masse, à l’échelle industrielle, se mène « à coup d’hommes », selon la formule que Foch emprunte à Chateaubriand. Confrontées aux immenses pertes humaines qu’engendre une puissance de feu terriblement accrue, les armées fixent pour priorité à leurs services sanitaires la maximisation des effectifs, considérée comme un enjeu stratégique. À la préservation des troupes, objectif classique du temps de paix, s’ajoute ainsi la « récupération des effectifs », qui doit participer au meilleur rendement possible de la mobilisation générale, par un retour rapide des soldats blessés ou malades en service actif.
« La défense nationale de la santé [était devenue] la défense nationale tout court », résumera après la guerre Justin Godart, lui-même acteur de cette histoire.
Sur le plan médical, les acquis de la théorie des germes, qui se sont imposés en ce début de xxe siècle, font de la prophylaxie une préoccupation majeure des services de santé. La contagion, les maladies épidémiques, l’abandon de l’hygiène dans les conditions de la guerre des tranchées font courir aux soldats des risques désormais considérés comme pouvant être prévenus – contrairement à ceux que le champ de bataille suscite. Il en résulte une responsabilité accrue des autorités sanitaires, que la nouvelle science bactériologique et les ressources de la médecine préventive dotent d’une capacité d’intervention afin de protéger les troupes des « maladies évitables ».
L’enjeu est également politique. Depuis la seconde moitié du xixe siècle, sous l’effet des « désastres sanitaires » que les armées européennes ont subis dans nombre de conflits – guerre de Crimée, campagne d’Italie ou expéditions coloniales –, l’opinion internationale s’est saisie de ce qu’elle perçoit comme un scandale mettant en jeu la responsabilité de la collectivité envers les soldats qu’elle envoie au combat. La création de la Croix-Rouge en 1863 a fait écho à l’entrée de cette question dans l’espace public. L’acuité de cet enjeu n’a fait que croître au début du xxe siècle. Dans les pays qui ont, comme en France, universalisé le système de conscription, il y va du contrat social noué entre la nation et son armée et de l’échange de droits et de devoirs qui le fonde. Si le soldat-citoyen n’a pas le droit de se soustraire à la mobilisation, s’il a le devoir de se soumettre aux ordres jusqu’à faire don de sa personne, il a en retour droit à la sauvegarde que la puissance publique assurera à son corps diminué. Le service de santé militaire a de son côté le devoir de « défendre les intérêts de l’État en même temps que les intérêts du soldat », souligne le docteur Bouloumié dans ses leçons sur la santé et la guerre. Dans les pays où la mobilisation repose sur le seul engagement des volontaires – c’est le cas, au début de la Grande Guerre, en Grande-Bretagne et en Italie –, le devoir de protection sanitaire du soldat est tout aussi impératif : comme les traités d’hygiène militaire le soulignent, il incombe à l’État, qui prive d’autonomie le soldat qu’il emploie, de veiller en vertu d’un « contrat juste et honnête » à ce que les hommes ne soient pas lésés par cette contrainte.
Organisation sanitaire
Au cours du xixe siècle, dans la plupart des armées nationales ont été mis en place des services de santé, outils médico-militaires chargés de la préservation de la santé et de l’hygiène des troupes. En temps de guerre, ces dispositifs, qui intègrent des compétences médicales, chirurgicales et hygiénistes, ont vocation à exercer une fonction prophylactique destinée à la protection[...]
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Écrit par
- Anne RASMUSSEN : professeure d'histoire de la médecine et de la santé à l'université de Strasbourg
Classification
Média