GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) La santé aux armées
Mobilisation médicale
Deux enjeux cruciaux reposent sur l’organisation des services de santé : d’une part, la capacité à mobiliser en masse médecins et lits d’hôpital pour faire face à l’afflux considérable de blessés et de malades ; d’autre part, l’aptitude à anticiper les besoins que les grandes batailles engendrent, ce qui suppose que la dimension sanitaire soit intégrée par le commandement parmi les priorités stratégiques. L’un et l’autre enjeux cristallisent durant toute la guerre conflits et controverses, confrontant les services de santé à l’état-major, mais aussi à la société civile qui les rend comptables des soins dus à ses enfants qui paient l’impôt du sang.
Chez tous les belligérants, ce sont des médecins civils, mobilisés ou volontaires, qui constituent l’armature du service de soins. Selon les autorités sanitaires, on compte en France 16 à 18 000 médecins dans la zone des combats en octobre 1915 – sur un total national estimé à 22 000 praticiens. En novembre 1918, les effectifs des médecins aux armées atteignent 21 000, soit un taux d’encadrement médical d’un médecin pour 203 hommes. L’effort consenti par la nation est massif, laissant temporairement l’arrière dans un grand dénuement médical.
Fin 1914, la mobilisation sanitaire devient un objectif central d’un conflit qui s’installe dans la durée et exige une extension considérable des moyens déployés. Depuis octobre 1914, l’action du service de santé relève de deux administrations distinctes : la zone intérieure sous le contrôle du gouvernement au sein de la 7e direction du ministère de la Guerre, et la zone des armées relevant des pleins pouvoirs militaires du grand quartier général. D’emblée apparaît au grand jour l’inadaptation de la doctrine sanitaire aux conditions nouvelles suscitées par la guerre, à l’origine du « Charleroi sanitaire » des premiers mois : face à l’ampleur considérable des pertes de l’été 1914, la désorganisation de la chaîne d’évacuation est accusée d’avoir occasionné une forte surmortalité des blessés relevés sur le champ de bataille. De Maurice Barrès à Georges Clemenceau, on dénonce l’absence de coordination entre service de santé et commandement, et les effets du découplage de l’action sanitaire entre la zone des armées (celle des évacuations) et la zone de l’intérieur (celle des hospitalisations). Le pouvoir politique unifie en 1915 la chaîne des opérations incombant au service de santé, de l’avant à l’arrière. Le ministre de la Guerre crée le sous-secrétariat d’État au service de santé militaire (SSESSM), confié au député Justin Godart, qui affirme son indépendance : « Je ne suis ni un militaire de profession, ni un fonctionnaire, ni un médecin, je suis le blessé. » Il revendique une autonomie de fonction et de décision sur le haut commandement, tout en pliant le SSESSM au contrôle du Parlement et de ses commissions. Une autre inflexion significative de cette organisation sanitaire a lieu au printemps 1917, lors d’une nouvelle crise. Débordé par la prise en charge des 100 000 blessés qui affluent durant les trois semaines de l’offensive désastreuse du Chemin des Dames, le service de santé est mis sur la sellette. En réponse à ces accusations, Godart impute la responsabilité de la situation au haut commandement qui a sous-estimé les pertes et maintient le service de santé en position subalterne, sans lui communiquer les plans d’offensive ni les effectifs engagés. La lutte politique initiée en 1915 pour l'émanciper en lui accordant participation aux décisions stratégiques et tactiques, et autonomie dans leur exécution, aboutit ainsi en 1917. Le service de santé est désormais intégré au processus de décision et devient ainsi responsable de ses conséquences sanitaires.
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Écrit par
- Anne RASMUSSEN : professeure d'histoire de la médecine et de la santé à l'université de Strasbourg
Classification
Média