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GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) La santé aux armées

Les blessés au centre du dispositif

La Première Guerre mondiale fait de la prise en charge des blessés un phénomène de masse. En France, parmi les 8 660 000 hommes mobilisés, 1,4 million sont tués et 4,3 millions blessés – les mêmes hommes pouvant être blessés à plusieurs reprises. Après guerre, on recensera parmi eux 1,1 million d’invalides permanents. Ces décomptes abstraits ne disent rien de l’expérience extrême du champ de bataille ni du parcours éprouvant des blessés dans la chaîne de soins, mais ils soulignent l’ampleur des besoins.

À l’entrée en guerre, la chaîne d’évacuation est placée au centre du dispositif. Le relèvement, le ramassage et les soins immédiats des soldats dépendent d’un service de santé aux niveaux du régiment, sous les ordres d’un médecin-major, de la division (un groupe de brancardiers divisionnaire et deux ambulances médicale et chirurgicale) et du corps d’armée (un groupe de brancardiers du corps et au moins une section sanitaire automobile). Ensuite prend place l’évacuation vers les formations hospitalières de la zone des armées. Les hôpitaux des origines et des étapes, devenus hôpitaux d’opération et d’évacuation, sont des hôpitaux de campagne qui ont la charge de traiter les blessés intransportables, et d’évacuer tous les autres. Ceux-ci aboutissent dans la zone de l’arrière (des armées) ou dans la zone de l’intérieur, selon des plans préétablis.

Il apparaît rapidement qu’un nouveau type de blessures émerge du champ de bataille. Celles-ci sont principalement dues aux projectiles d’artillerie – éclats d’obus, de mines, de torpilles ou de grenades – et non plus aux balles de fusil. Les blessés sommairement pansés affluent à l’arrière, où ils présentent des plaies suppurantes très graves. Phlegmons, gangrène gazeuse, tétanos font des ravages. Les médecins se font l’écho d’une donnée nouvelle et dramatique quant au pronostic vital des blessés : presque toutes les plaies sont infectées. Pour le chirurgien Alexis Carrel, titulaire du prix Nobel missionné par le ministère de la Guerre pour étudier et remédier à ces blessures nouvelles, « il n’y a pas de petits blessés ». Les éclats d’obus et les billes de shrapnel entraînent dans les plaies débris de capote, morceaux de cuir, fragments de sol, éclats de bois, et toute leur population microbienne. Les germes pullulent et rendent critiques des blessures dont la gravité initiale n’était pas alarmante. La « plaie de guerre », ainsi qu’elle est désignée, témoigne des interactions entre la technologie de la bataille (les armes), l’ingénierie sanitaire (l’évacuation) et le corps humain. Elle révèle aussi que la guerre engendre un gigantesque milieu pathogène dans lequel les blessés sont plongés. Ce constat oblige à réorganiser la chaîne d’évacuation et le triage, à redéfinir les priorités de la prise en charge au plus près de l’avant, et à repenser les principes de la prise en charge hospitalière. En matière chirurgicale et thérapeutique, des débats sur les méthodes et les bonnes pratiques, conformes à la grille de lecture imposée par la théorie des germes, ont lieu durant tout le conflit dans les communautés savantes et les revues médicales.

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Écrit par

  • : professeure d'histoire de la médecine et de la santé à l'université de Strasbourg

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Média

Flotte d’ambulances aux Invalides en 1915 - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images

Flotte d’ambulances aux Invalides en 1915