GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) La santé aux armées
Compassion et martyrologie
Le blessé est ainsi placé au centre du dispositif de prise en charge sanitaire. Il incarne le héros vers lequel est dirigée la sollicitude nationale, qui se manifeste par des campagnes de souscription pour lui venir en aide. L’intense mobilisation des infirmières constitue un autre témoignage de la préoccupation de la nation pour ses blessés. Les hôpitaux font ainsi largement appel au concours de près de 70 000 bénévoles des trois sociétés de la Croix-Rouge – la Société de secours aux blessés militaires, l'Association des dames françaises et l'Union des femmes de France – qui incarnent, dans le registre caritatif et humanitaire, la contribution la plus manifeste des femmes à l’effort de guerre. L’héroïsation patriotique de la figure du blessé n’est pas dissociable de la compassion à l’égard de la souffrance dont il est devenu le visage emblématique. Des récits de guerre témoignent de cette expérience pourtant peu dicible de la douleur et dressent des martyrologes où le blessé, qu’il soit soufflé par l’explosion anonyme, fauché par le tir de la mitrailleuse ennemie au sortir de la tranchée ou atteint par les gaz de combat, est la victime par excellence de l’anomie du combat. Georges Duhamel, médecin dans une ambulance de l’immédiat arrière-front, a dressé de ces blessés des portraits poignants dans Vie des martyrs, en 1917, où il tente d’humaniser la souffrance des corps et de réindividualiser la douleur de masse. En tant que médecin, souligne-t-il, il en est réduit à essayer de « mettre de l’ordre dans l’enfer ». Dans un registre plus critique à l’encontre de l’institution médico-militaire, d’autres écrivains ont dénoncé, surtout au cours d’un après-guerre qui était plus propice à l’expression pacifiste, les médecins qui s’étaient faits les auxiliaires du commandement en leur fournissant toujours plus d’hommes en état de marche. C’est le point de vue de Léon Werth, dans Clavel chez les majors, publié en 1919 : « Le médecin décide de l’envoi au front, du séjour à l’hôpital. Il est plus puissant que Joffre. Il donne ou il refuse à Joffre les soldats. » Le service de santé y apparaît comme un bras armé de la récupération des effectifs, par le rôle qu’il joue dans les commissions de réforme. Cette dénonciation a nourri la vision à charge d’un corps médical détourné de son devoir envers les souffrants par sa soumission à la machine de guerre, que des historiens ont parfois relayée sans nuances.
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Écrit par
- Anne RASMUSSEN : professeure d'histoire de la médecine et de la santé à l'université de Strasbourg
Classification
Média