GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) La santé aux armées
Épidémies : la guerre prophylactique
En 1914, on craignait l’irruption des grandes épidémies qui s’étaient toujours imposées dans le sillage des guerres. Les pronostics ont été déjoués sur le front occidental. La fièvre typhoïde constitue le seul épisode épidémique critique qui a ébranlé la santé des troupes européennes, à l’hiver 1914 et au printemps 1915, et mis en péril l’équilibre des forces militaires en présence. En France, 100 000 cas sont déclarés parmi les troupes du front pendant les quatorze premiers mois du conflit, avec un taux de mortalité de 12,2 p. 100, et des pics de décès dans certaines armées jusqu’à 25 p. 100 parmi les malades identifiés. Chez les belligérants européens, des campagnes de vaccination antityphoïdique sont opposées systématiquement à l’épidémie en 1915, avec succès. Mortalité et morbidité sont réduites à des taux résiduels dès 1916. En France, la lutte contre la typhoïde constitue une première expérience d’inoculation de masse que les circonstances de l’urgence d’une épidémie en plein essor ont permis d’imposer, en se fondant sur les savoir-faire et la production vaccinale du Val-de-Grâce et de l’Institut Pasteur.
En revanche, le front oriental est frappé par de violentes épidémies de typhus, en Serbie en 1915, en Roumanie en 1917, en Russie et en Pologne à la fin de la guerre. Le typhus, dont on sait depuis les travaux récents des pastoriens qu’il est transmis par les poux infectés, apparaît comme la maladie de guerre par excellence, celle des camps de prisonniers et des réfugiés. Au printemps 1915, la maladie fait son apparition à l’ouest dans les camps allemands, tels ceux de Wittenberg, Cassel ou Cottbus, où elle fait près de 12 000 victimes parmi les prisonniers français, anglais, russes, belges, sur près de 50 000 contaminés. Dans tous les pays, la lutte contre le typhus, faute d’outil bactériologique, déploie une mobilisation prophylactique générale contre le vecteur : l’épouillage à échelle de masse devient la pierre de touche d’un arsenal de pratiques hygiénistes de désinfection, qui fait des prisonniers et des populations migrantes des « suspects sanitaires » à surveiller en priorité.
C’est encore une épidémie du front de l’Est qui est vécue par les services de santé français comme une menace en 1916 : l’épidémie macédonienne de paludisme domine le tableau épidémiologique de l’armée française d’Orient, dans les marais du camp retranché de Salonique favorables à la prolifération des anophèles. Sur 120 000 hospitalisés français pour « maladie exotique », 80 p. 100 le sont pour paludisme, à l’origine des doléances du général Sarrail déplorant l’immobilisation de son armée dans les hôpitaux. Là aussi, la lutte contre l’épidémie prend la forme d’une campagne prophylactique de grande ampleur, orchestrée par une mission antipaludique française envoyée en Grèce, sous la tutelle scientifique des pastoriens Étienne et Edmond Sergent, déployant une vingtaine de médecins et trois cents infirmiers dans la région impaludée.
Faut-il faire de l’immense pandémie de grippe espagnole de 1918 une pathologie en lien avec la guerre ? La question nourrit les débats épidémiologiques. Quelle qu’en soit la réponse, l’épidémie a été mondiale, et s’est déployée avec tout autant d’extension et de virulence dans les pays épargnés par le conflit. C’est pourquoi son étude est généralement disjointe de celle de la pathologie de guerre, d’autant plus que les moyens de lutte contre cette grippe extrêmement contagieuse ont été des plus limités, laissant les services médicaux militaires et civils tout aussi démunis. Il n’en reste pas moins qu’elle a mis des troupes hors de combat au printemps, puis à l’automne 1918, à un moment où l’issue des opérations n’était pas décidée. Selon les estimations d’après-guerre du docteur Delater,[...]
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Écrit par
- Anne RASMUSSEN : professeure d'histoire de la médecine et de la santé à l'université de Strasbourg
Classification
Média