GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) La santé aux armées
Des innovations médicales de guerre ?
L’histoire médicale de la santé militaire a souvent mis l’accent sur les innovations médicales ou sanitaires que la guerre suscite, pensées comme des réponses opposées à la nouveauté des situations issues du conflit. La guerre engendre des formes pathologiques inédites qui ont pour origine la puissance de feu et l’armement moderne et suscitent des réponses thérapeutiques ad hoc : les « épidémies de blessures nerveuses » sont mises en valeur par une innovation diagnostique qui utilise l’électricité médicale ; la réparation des « gueules cassées », dont le nombre est estimé entre 10 et 15 000 en France, s’appuie sur le développement de la chirurgie maxillo-faciale ; ou encore la prise en charge de l’état de choc fait appel à la méthode expérimentale de la transfusion sanguine. Dans un autre registre, la multiplication des troubles psychiques engendrés par le conflit – que les Britanniques désignent d’une expression spécifique, le shellshock, qui comprend des troubles aussi divers que surdité, mutisme, tremblements, paralysie, amnésie, cécité, ou « hystérie de guerre » – donne lieu au déploiement de structures sanitaires, les centres neuropsychiatriques de l’avant. La Revue neurologique en recense vingt-deux en juillet 1917, mais le nombre de médecins spécialistes qui leur est affecté n’est pas à la hauteur de la prise en charge.
Les nouvelles pathologies peuvent également procéder des conditions « prédisposantes » du milieu pathogène favorisé par la guerre, créant un lien inédit entre le terrain, les microbes, leurs hôtes et les vecteurs. L’hypothèse a engendré la notion de « maladies de tranchée », inconnue jusqu’alors, comme la « fièvre de tranchée » ou la « néphrite de tranchée ». Le Larousse médical illustré de guerre(1917),de Galtier-Boissière, recense huit de ces « principales affections que le mode de vie anormal dans les tranchées a produites ». Leur étiologie en relation à la guerre était particulièrement discutée : le « pied de tranchée » par exemple – une atteinte particulièrement redoutable, douloureuse, qui meurtrit les soldats – était-il identifiable aux gelures des pieds dans les conditions délétères d’humidité, de froid, de macération auxquelles ils étaient soumis, ou s’expliquait-il par une étiologie singulière, un germe spécifique produit par l’association exceptionnelle de conditions hors normes ? C’est aussi en réponse aux conditions pathogènes de la guerre que se développent des « technologies sanitaires » dont l’hygiène constitue le cœur : laboratoires de bactériologie et de toxicologie, équipes sanitaires d’intervention dans les camps et les cantonnements, dispositifs de stérilisation des eaux ou d’assainissement du champ de bataille.
La guerre est ainsi couramment interprétée comme un champ expérimental, voire un « laboratoire » de technologies médicales, sanitaires, et managériales, qui peuvent perdurer dans d’autres contextes, en temps de paix, ou ne constituer qu’une parenthèse adaptée à des conditions extrêmes et non reproductibles, aussitôt refermée à la fin du conflit.
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Écrit par
- Anne RASMUSSEN : professeure d'histoire de la médecine et de la santé à l'université de Strasbourg
Classification
Média