GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) Le rôle des colonies
Des milliers de bras au service de l’économie de guerre
La durée du conflit entraîne l’intensification de la double ponction économique et démographique sur les colonies. Celles-ci financent l’effort de guerre par des souscriptions, une sous-évaluation des prix à l’exportation, des avances financières au Trésor français, tandis que de nombreuses productions sont réquisitionnées ; toutefois, leur apport économique demeure modeste puisqu’on estime qu’entre 1915 et 1918 elles auraient contribué pour 2,7 p. 100 aux emprunts de la Défense nationale. Cela étant, la métropole peut se réjouir de ce que les colonies ne lui aient rien coûté pendant le conflit. Le bilan économique est très variable de l’une à l’autre. Pour l’Indochine et les Antilles, il est plutôt positif ; au Maghreb, la Tunisie connaît une série de bonnes récoltes ; en revanche, la situation économique de l’AOF et de l’AEF se dégrade. Cependant, il semble que la ponction la plus marquante soit principalement démographique.
Très tôt, en effet, la pénurie de main-d'œuvre s’impose comme l’une des préoccupations essentielles pour les autorités politiques et militaires, mais aussi pour l’ensemble des entrepreneurs. La féminisation du marché du travail et l’emploi des prisonniers de guerre ne compensent que partiellement le manque de bras, d’où un recours massif aux travailleurs étrangers et coloniaux, ces derniers étant recrutés en Algérie (près de 80 000), au Maroc (35 000), en Tunisie (18 500), en Indochine (49 000) ou encore à Madagascar (5 500). En outre, à partir des concessions françaises, sont embauchés 37 000 Chinois, qui ne sont pas des coloniaux, mais sont gérés comme tels par les autorités françaises. À ces quelque 225 000 travailleurs, il faudrait ajouter la partie des contingents sénégalais et indochinois considérés comme impropres au combat et classés « bataillons d’étapes », qui constituent une sorte d’armée de manœuvres, d’infirmiers et de brancardiers. Enfin, les Britanniques font également venir dans le Pas-de-Calais et la Somme surtout, à l’arrière de leurs troupes, 100 000 Chinois (ChineseLabour Corps), quelques milliers de Sud-Africains (Native Labour Corps), d’Indiens, d’Égyptiens ainsi que des hommes originaires du Pacifique, de l’océan Indien et des Caraïbes.
Le recrutement – et dans certains cas la réquisition –, l’acheminement et surtout la présence en France de tous ces hommes d’origine extrêmement variée ne vont pas sans poser de problèmes, et d’abord d’organisation. Au nom aussi de la lutte contre l’« indésirabilité » politique et la « concurrence au travail national », le gouvernement se dote d’une structure administrative nouvelle. Une Commission interministérielle de la main-d’œuvre (CIMO) est mise sur pied en septembre 1915, qui définit peu à peu les principes généraux de la gestion de la main-d'œuvre, les conditions d’embauche ou encore la forme des contrats de travail. Les travailleurs coloniaux et chinois sont placés sous l’autorité du Service de l’organisation des travailleurs coloniaux (SOTC) parfois aussi appelé Service de la main-d'œuvre coloniale et chinoise, qui dépend d’abord du ministère de l’Armement, puis est rattaché au début de 1916 à la Direction des troupes coloniales du ministère de la Guerre. Organe militarisé, il comprend plusieurs sections correspondant chacune à une « race » de travailleurs et dispose de commandements régionaux qui gèrent les « groupements de travailleurs ».
Coloniaux et Chinois, à leur arrivée en France, sont dirigés vers le grand dépôt de Marseille. Ils y sont soumis à une visite médicale sévère destinée à éliminer ceux qui sont inaptes au travail ou susceptibles de contaminer la population française. Ils sont militarisés et surveillés de manière beaucoup plus rigoureuse que les travailleurs[...]
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Écrit par
- Laurent DORNEL : maître de conférences en histoire contemporaine à l'université des pays de l'Adour, laboratoire Identités, territoires, expressions, mobilités
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Médias