GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) Le rôle des colonies
Français et « coloniaux » : des relations ambivalentes marquées par le paradigme de la race
L’emploi des soldats et des travailleurs coloniaux s’inscrit dans un contexte racialiste, répandu à l’époque, qui attribue à certaines « races » des qualités guerrières ou professionnelles particulières. Français et Britanniques recrutent ainsi leurs troupes avant tout parmi les « races guerrières » (martial races). Les premiers utilisent fréquemment les Noirs africains comme troupes de choc et placent les Nord-Africains dans des situations de combat direct alors que les Malgaches et les Indochinois ont essentiellement une fonction d’appui. Dans bien des cas, des responsables français insistent sur les prétendues « barbarie » et « sauvagerie » des Sénégalais ou des Marocains.
Il n’est pas question de mélanger indifféremment les contingents de toutes origines au sein des mêmes unités. Pour des raisons pratiques (nourriture, statuts, langue, etc.), les hommes sont donc regroupés selon leur origine nationale ou ethnique, la présence des Européens se limitant en général à l’encadrement. Toutefois, les unités indigènes sont le plus souvent combinées à des troupes françaises voire à des contingents des armées alliées sur le front de France comme sur celui d’Orient. Ainsi, en avril 1917, les Algériens participent à la défense d’Amiens avec les Australiens de l’armée britannique.
Pour autant, le quotidien des combattants d’outre-mer ne diffère guère de celui de leurs camarades français. Ils partagent les mêmes épreuves du feu sur le front occidental (Verdun) ou sur des théâtres périphériques (Dardanelles), les mêmes conditions de (sur)vie dans les tranchées sans oublier l’expérience de la captivité (au moins 7 000 Algériens musulmans sont faits prisonniers). En revanche, les indigènes ne sont que très rarement promus officiers (environ 250 Algériens et quelques dizaines d’Africains) et ne bénéficient qu’à la marge des permissions, d’abord en raison de l’éloignement de leur terre d’origine et des difficultés de transport ; ensuite, parce que le commandement craint les effets des récits des permissionnaires sur les populations (dureté des combats, puissance des Allemands…). Quant aux permissions en France, elles suscitent également les réticences des autorités : on redoute non seulement que ces indigènes soient livrés à eux-mêmes dans un pays qu’ils ne connaissent pas, mais encore qu’ils s’affranchissent de la tutelle de leurs chefs au contact des Français, et surtout des Françaises. Pour les tirailleurs et les convalescents sont aménagés des camps ou des foyers à l’arrière, notamment dans les régions méridionales. Ces séjours sont parfois l’occasion de « défranciser » les soldats : les Sénégalais – dont on estime qu’ils ont été trop longtemps coupés de leurs traditions – subissent ainsi des cures de « resénégalisation » dans la région de Fréjus et de Saint-Raphaël. Quant aux coloniaux blessés, ils sont soignés dans des établissements spécifiques, et en règle générale tenus rigoureusement à l’écart des populations civiles.
Du côté des travailleurs, le même paradigme de la race organise les représentations et les pratiques. De très nombreuses instructions officielles rappellent qu’ils doivent être groupés en fonction de leur origine tant sur les lieux de travail que dans les cantonnements. Il importe, par exemple, de séparer Chinois et Indochinois, Kabyles et Arabes, Marocains et Algériens. La « politique des races » élaborée pendant les conquêtes coloniales est acclimatée sur le territoire métropolitain, où sont transférés des catégories et des modes d’appréhension propres à la situation coloniale. Les autorités estiment que grouper les coloniaux par races permettra d’abord d’obtenir un meilleur rendement au travail ; ensuite, d’éviter des contacts avec les[...]
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Écrit par
- Laurent DORNEL : maître de conférences en histoire contemporaine à l'université des pays de l'Adour, laboratoire Identités, territoires, expressions, mobilités
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Médias